11/11/2021
Zemmour est-il fasciste ? Je découvre l'éditorial de Riss, "D'un Zemmour l'autre", dans le Charlie Hebdo du 3 novembre dernier. Riss n'est pas seulement un excellent analyste, c'est aussi un homme courageux qui mérite le respect de tous les hommes attachés à la liberté.
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Éditorial de Riss : D'un Zemmour l'autre (c) Charlie Hebdo, 3 novembre 2021. Lien |
Pour répondre à cette question, Riss met en exergue la pratique révisionniste de l'histoire, explique que Zemmour s'en est fait un chantre pour ce qui touche notamment à la période de l'Occupation, et estime en définitive que l'homme, en utilisant de tels procédés, "répond alors parfaitement aux critères de la pensée fasciste." Ce raisonnement s'achève par une conclusion nuancée : "La question de savoir si Zemmour est un fasciste n’est alors plus aussi incongrue qu’on pouvait le penser au départ."
Ces derniers mots doivent en laisser plus d'un perplexe, car l'on trouve bien des commentaires, dans des journaux moins "stylés" que Charlie, qui ne s'encombrent pas de telles précautions. Pour eux, comme pour la majorité des opposants à Zemmour, la question de son fascisme n'est pas du tout incongrue, elle est tranchée depuis longtemps et ne saurait souffrir la moindre mise en cause.
Cela étant dit j'ai sursauté à plusieurs reprises en lisant cet édito. Riss introduit son discours de la façon suivante : "Il y a à l’extrême droite une caractéristique qu’on ne retrouve quasiment jamais ni à gauche ni dans la droite classique. C’est le révisionnisme."
Puis, il définit ainsi le révisionnisme : "il ne s’agit pas de cette démarche qui consiste pour tout historien à se poser des questions qui peuvent l’amener à « revoir » certaines interprétations d’épisodes historiques à la lumière de découvertes nouvelles. Non, le « révisionnisme », au sens où il est pratiqué par l’extrême droite, consiste à écrire une autre Histoire, en contradiction totale avec les recherches historiques connues".
Le révisionnisme est donc un crime contre la pensée, puisqu'il vise à falsifier la vérité afin de servir une idéologie. Bien. Dès lors, on se demande comment qualifier l'attitude pratiquée par le parti communiste depuis plus d'un siècle, quand il se refuse à reconnaître la cruelle répression des Ukrainiens sous Staline et sa sordide sœur de sang, la grande famine appelée Holodomor, si longtemps oubliées de l'histoire ; le mensonge qui entoura des décennies durant le massacre de Katyń, les carnages de Mao, Castro, Brejnev et de leur clique, et tant d'autres crimes contre l'humanité si abasourdissants que la raison échoue à se les figurer. Les remises au pas de Budapest et de Prague ont été célébrées comme des opérations anti-fascistes. Pourtant, il ne viendrait à l'esprit de personne d'employer ici le mot de révisionnisme pour désigner la propagande qui voulait occulter ces outrages au genre humain.
Nous sommes ici devant un piège sémantique. Pour ces événements aujourd'hui bien décrits par les historiens, à défaut d'être bien connus, nulle "réécriture de l'histoire", mais falsification de l'actualité, au moment même de sa survenance. Le mensonge est noué avec la genèse des faits. La construction de l'histoire est révisionniste, négationniste, ou ce que l'on voudra, car fondée sur la volonté délibérée de travestir la réalité en tant que phénomène observable. Une lecture, ou une relecture, de l'Aveuglement de Christian Jelen - qui n'était pas réputé pour ses sympathies fascistes - nous permettrait, au besoin, de nous en souvenir. Pour le dire autrement, le "révisionnisme de droite" est la déformation d'un passé pourtant bien documenté, alors que le "révisionnisme communiste" est la déformation du présent, qui devient une histoire mal documentée - et, dans bien des cas, présentée dans cette version altérée par des historiens malhonnêtes, lâches ou aveugles.
C'est pourquoi Riss a raison d'écrire que le "révisionnisme" est "pratiqué par l'extrême droite". Le mot et la position politique sont intimement liés, quand bien même il s'agit d'une profonde injustice. Mais il n'a raison qu'en partie. Quand Mélenchon déplore "l'annexion" de la RDA par l'Allemagne de l'Ouest, est-il d'extrême droite ? Françoise Héritier, défendant la thèse stupide d'une différence de taille entre les hommes et les femmes due à une construction sociale, est-elle d'extrême droite ? Ceux qui avancent que la cinquième symphonie de Beethoven est une marque historique d'exclusion et d'élitisme au détriment des femmes, des LGBTQ+ et des personnes de couleur relèvent-ils de l'ultra-droite ? La revisitation de l'histoire qui fait de Churchill un raciste qu'il faut gommer de nos mémoires est-elle professée par des émules de Mussolini ?
Je me permettrai donc de ne pas suivre le chroniqueur pour qui les pratiques révisionnistes signent le fascisme, sauf à considérer que Mélenchon, Héritier, Black Lives Matter, etc., sont des fascistes (au sens de l'éditorial : posture d'extrême droite ; sinon, la question se pose, effectivement). Je ne le suis pas non plus quand il écrit : "Après la Seconde Guerre mondiale, seuls les partis politiques qui avaient combattu dans la Résistance étaient légitimes pour participer à la vie politique, excluant l’extrême droite, qui fut trop proche de Vichy et de l’occupant." Je trouve cette analyse incomplète. Le PCF a été l'allié des Nazis jusqu'au jour où Hitler attaqua l'URSS. Le sujet est bien documenté (chacun connaît, ou devrait connaître, Le passé d'une illusion, de François Furet, voir aussi cet article parmi tant d'autres). Le renversement d'alliance ne se produisit pas pour des raisons de divergences idéologiques. Pourtant, on trouve des communistes dans le gouvernement de la Libération.
C'est pourquoi il me paraît important d'apporter une nuance de taille à ce passage de l'éditorialiste : "Ces théories, qui disent tout le contraire de ce que les historiens sérieux ont démontré, sont typiques de l’extrême droite qui, depuis 1945 et les sentences du procès de Nuremberg, répète jusqu’à la nausée que l’Histoire est toujours écrite par les vainqueurs, laissant entendre qu’une autre Histoire pourrait être racontée, dont l’objectif est en réalité de réhabiliter son idéologie fasciste." Il n'est pas besoin de vouloir réhabiliter une telle idéologie pour, en effet, estimer que l'histoire, hélas, a bien été écrite par les vainqueurs, et que Nuremberg a perpétué le mythe du communisme ami de l'humanité. Cette illusion encore tenace a été aggravée par l'absence de procès de cette idéologie dans les années 1990. Oui, une autre histoire est possible, et serait à mon avis nécessaire pour enfin rendre justice à la mémoire des peuples d'Europe centrale et d'ailleurs si longtemps opprimés par le grand frère soviétique ou ses cousins orientaux, africains ou latino-américains.
Et Zemmour dans tout ça ? Je suis prêt à entendre qu'il est fasciste - j'ai déjà formulé, me semble-t-il, assez de réserves sur les idées qu'il exprime pour que l'on me prenne au mot. Toutefois les éléments ne me paraissent pas suffisants pour sauter le pas. S'il pose la question de l'innocence de Dreyfus, c'est dans sa volonté de comprendre, dans le contexte de l'époque, la détermination de ne pas affaiblir une France en quête de revanche militaire (je pense que la France s'est au contraire grandie d'avoir réhabilité Dreyfus). Son opinion sur Pétain rejoint celle de Français de l'après-guerre, qui n'étaient pas tous des collabos ou des admirateurs de Rebatet. Il ne m'apparaît pas scandaleux de la défendre : dans ses mémoires Le Voleur dans la maison vide Jean-François Revel raconte avec esprit la passion que mettait le Colonel Rémy à défendre "la droiture" du maréchal Pétain, car "L'objectif final [de De Gaulle et de Pétain] était le même que le nôtre : il s’appelait la libération de la France". Si l'on considère que le Colonel Rémy, compagnon de la Libération et gaulliste de la première heure, était un fasciste, alors les mots n'ont plus de sens.
Il y a donc urgence, si l'on veut continuer à employer ce qualificatif à bon escient, de définir enfin ce qui singularise le fascisme - et en cela l'édito de Riss, bienvenu mais imprécis, ne nous est d'aucune aide.
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