vendredi 17 septembre 2010

Chapeau bas, madame Reding

« Je pensais que l'Europe ne serait plus le témoin de ce genre de situation après la seconde guerre mondiale. »

Ces quelques mots prononcés cette semaine par Viviane Reding, vice-présidente de la Commission européenne responsable de la Justice, des droits fondamentaux et de la citoyenneté, suffirent à déclencher tempête de protestations véhémentes, spasmes des autorités nationales, appels à la démission et coups de sang présidentiels.

Mais de quelle situation s’agit-il donc ? Du fait d’expulser les étrangers roms quand ils sont dans l’illégalité ? Ou bien de justifier cette expulsion par l’appartenance ethnique des personnes concernées ?

Il ne s’agit pas de jouer sur les mots. Ces deux possibilités révèlent bien des positions inconciliables car issues de deux acceptions opposées de la politique. L’une est républicaine. L’autre pas.

Remontons au 5 août 2010. Ce jour-là, le Ministère de l’Intérieur, par la voix de son directeur de cabinet, diffuse aux préfets une circulaire rappelant les « objectifs précis » fixés par Nicolas Sarkozy : « 300 campements ou implantations illicites devront avoir été évacués d’ici 3 mois, en priorité ceux des Roms ».

Or cette circulaire surprend la vice-présidente de la Commission, à qui les autorités françaises venaient d’assurer l’absence de tout critère ethnique dans les procédures d’expulsion.

Viviane Reding : « J'ai été personnellement choquée par des circonstances qui donnent l'impression que des personnes sont renvoyées d'un Etat membre uniquement parce qu'elles appartiennent à une certaine minorité ethnique. »

La première phrase évoque très précisément la circulaire : oui, « l’impression » que certaines personnes sont expulsées en raison de leur appartenance à une minorité ethnique est indéniable. Viviane Reding a donc parfaitement raison de partager ce sentiment.

« Je pensais que l'Europe ne serait plus le témoin de ce genre de situation après la Deuxième Guerre mondiale. »

Cette seconde phrase est plus délicate. Tout d’abord, selon l’angle historique, elle est fausse. L’erreur de Viviane Reding, et je m’étonne de trouver le silence total à ce sujet, est d’oublier que maintes politiques discriminatoires (sur critères ethniques ou religieux) ont existé en Europe après la seconde guerre mondiale. Qu’il suffise de regarder ce qui se pratiquait dans les pays socialistes qui, sauf erreur ou omission de ma part, n’ont pas été rattachés au continent européen en 1989 ou 1990. L’idée que la guerre ne s’est pas terminée en 1945 mais près d’un demi-siècle plus tard ne devrait même plus faire débat ; je constate avec tristesse que le drame du socialisme réel continue d’être ignoré.

En dépit de sa maladresse, cette phrase présente une opinion de valeur : celle que l’Europe ne devait pas, à cause de ses principes même, de nouveau être le témoin d’une telle politique après la seconde guerre mondiale. Ce sont les événements de la guerre ont fait germer l’idée d’une Europe unie contre la discrimination ethnique ou religieuse.

Pour bien se faire entendre, Viviane Reding développe dans le même discours cette idée d’Europe meurtrie mais résolument engagée dans une nouvelle voie pour se garder de ses démons : « Soyons clairs : la discrimination basée sur l'origine ethnique ou la race, n'a pas de place en Europe. Elle est incompatible avec les valeurs sur lesquelles l'Union européenne est fondée. Les autorités nationales qui discriminent des groupes ethniques lors de l'application du droit de l'Union européenne violent aussi la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, que tous les Etats membres ont signée, y compris la France.»

Viviane Reding ne discute donc pas l’expulsion des Roms. Elle dénonce le fait que cette expulsion se fasse sur des critères parfaitement contradictoires avec les engagements fondamentaux des Etats de l'Union.

« La France est blessée » par la référence à la seconde guerre mondiale ? L’expulsion des Roms n’est pas la déportation des Juifs ? Certes, elle ne l’est pas. Les Juifs n’étaient pas renvoyés, hélas ! dans leur pays. Mais qui donc a assimilé les Juifs déportés aux Roms de 2010 ? Pas Viviane Reding, en tout cas. Son discours évite cet amalgame expéditif. La référence qu’elle fait à la seconde guerre mondiale sert à rappeler l’origine de la construction européenne, dont l’idée même naît au plus noir des années de ténèbres. Les autorités françaises feignent de voir dans cette allusion une assimilation au pétainisme – et d’adopter aussitôt un ton outré victimaire. C’est aller un peu vite en raccourcis et se ménager un argumentaire bien senti et percutant à moindre frais.

Au rebours de la défense approximative de nos caciques nationaux, cette allusion à notre histoire concerne bien d’autres pays que la France et le régime de Vichy. C’est une question de civilisation et de barbarie, un problème à l’échelle d’un continent ; mais je ne connais que trop bien l’exaspérante manie des Français à vouloir tout ramener à leur pays. La seconde guerre mondiale, cela n’était pas que Vichy. Jamais Viviane Reding ne cite Pétain, et elle a raison. Et c’est exactement le sens du commentaire qu’elle envoie à l’AFP : « je regrette les interprétations qui détournent l'attention du problème. » Nulles excuses, au rebours de ce qu’a prétendu toute la presse française – ainsi que l’Élysée, pas à une approximation près.

Pour avoir vécu dans plusieurs « républiques bananières » régulièrement rappelées à l’ordre par la communauté internationale, je me suis souvent demandé ce que ressentaient les citoyens de ces pays lors des remontrances d’autres nations. L’affaire présente m’autorise à le dire : un immense soulagement – celui de voir d’autres se préoccuper de l’avenir de mon pays, dénoncer ses dérives, veiller la démocratie.

Chapeau bas, madame Reding.

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