vendredi 12 janvier 2007

Les cerfs-volants de Kaboul, de Khaled Hosseini



Ce livre est un énorme succès à travers le monde. Il a été édité aux Etats-Unis en 2003 et depuis lors traduit dans plusieurs dizaines de langues. En France, il a décroché l’an passé le prix des lectrices de Elle, et une simple visite sur le site de la FNAC me présente vingt-quatre avis de lecteurs dithyrambiques - la note moyenne étant de 10/10. Pas moins ! Faudrait-il donc passer à côté d’un tel chef d’œuvre adulé dans le monde entier ?


Précisons d’emblée qu’il s’agit d’un roman, sous la forme d’une fausse autobiographie. Oui, fausse, car l’histoire du personnage principal, un écrivain, n’est pas celle de Khaled Hosseini, l’auteur du livre. Cette précision paraît indispensable, sans quoi on se dirait à chaque page « c’est incroyable ce qu’a vécu cet homme », « quelles coïncidences extraordinaires »… alors qu’en réalité tout est inventé. Cela étant dit, de quoi parle le livre ?
La première partie relate l’enfance d’Amir en Afghanistan, les relations ambiguës avec son père Baba, son amitié avec son serviteur Hassan. Amir, le narrateur, est pachtoun, sunnite, noble et riche, alors qu’Hassan est chiite hazari et considéré comme faisant partie d’une caste inférieure.
De là découlent des rapports équivoques entre les deux garçons. L’indéfectible admiration de Hassan pour Amir n’est-elle due qu’à la condition sociale du jeune hazari ? La prétendue supériorité intellectuelle d’Amir, et sa cruauté envers son jeune ami, ne relèvent-elles pas d’une indicible jalousie ? Dans cette première partie, l’auteur tente de nous persuader à quel point il était lâche, alors que les autres sont formidables. Hassan devine tout, sait longtemps à l’avance l’endroit précis où un cerf-volant va atterrir, supporte sans broncher les cruautés de son maître. Amir se décrit comme pusillanime, envieux malgré lui de la vivacité d’esprit de son serviteur et même jaloux du traitement que lui réserve son père. Le comble de la lâcheté est atteint quand il n’ose pas intervenir alors que Hassan est pris à partie très brutalement par Assef, violé sous ses yeux.
Précisons-le d’emblée, Assef est le méchant de l’histoire. Il est sauvage, brutal, « sociopathe » dit l'auteur (le mot est-il bien choisi ?). Il se balade à la tête d’une bande de mauvais garçons et corrige ceux qui ne lui reviennent pas avec un poing américain, quitte à leur arracher les oreilles. Il ne cache pas son racisme et, par-dessus le marché, admire Adolf Hitler.
A ce moment, Khaled Hosseini a dû se relire et se demander s’il était bien clair que le personnage d’Assef était un vrai méchant. Il a donc réfléchi et ajouté quelques tares supplémentaires : le voilà pédophile et, bientôt, dignitaire taliban.
Pour résumer cette première partie, le narrateur est un lâche vraiment lâche, son serviteur est admirable en dépit de sa condition sociale, et le méchant est très méchant. Pour le sens de la nuance, comme on le voit, l’on repassera. L’histoire semble en revanche admirablement adaptée pour devenir un scénario comme Hollywood les aime, plein de bons sentiments, de personnages simplistes et de couchers de soleil avec palmiers en ombre chinoise sur violons sirupeux.
La suite de l’histoire ? Amir et son père se réfugient aux Etats-Unis (au passage, description d’une conduite héroïque de Baba devant l’envahisseur soviétique, ça ne mange pas de pain). Le père s’adapte mal à la vie occidentale et vit sur ses préjugés (on songe parfois à Spiegelman père dans Maus). Le fils ne s’américanise pas excessivement puisqu’il se marie avec une réfugiée de son pays, selon les contraintes de sa culture (pas de sexe avant le mariage – mais la demoiselle n’était plus vierge). Baba meurt d’un cancer, les deux époux ne parviennent pas à enfanter (préparez les mouchoirs), quand pendant l’été 2001 Amir reçoit un appel du Pakistan qui lui offre une occasion « de se racheter ». Evidemment, le héros retourne là-bas, tente de renouer les liens avec ceux qu’il a connus, découvre que le seul survivant de la folie des Talibans est le fils de son ancien ami Hassan. Il ira jusqu’à Kaboul l’arracher aux griffes du sociopathe-national-socialiste-pédophile-taliban, le méchant Assef (scène physiquement douloureuse), rejoint les USA avec le jeune enfant alors que les tours jumelles allaient bientôt être détruites. Le roman se termine sur la description de cet enfant muet et traumatisé, mais laisse entrevoir une guérison possible.
Au risque de me faire haïr de l’immense majorité des admirateurs du livre, je dois dire que j’ai trouvé celui-ci assez démagogique. Je crains qu’il n’offre, sous couvert d’histoire d’un pays et de paraboles plus ou moins subtiles, une façon à peine détournée de caresser le lecteur dans le sens du poil.
J’ai lu un peu partout que ce livre était précieux sur l’histoire de l’Afghanistan. En vérité, elle n’est que très peu évoquée. N’espérez pas y apprendre la raison de l’intervention des Soviétiques, ni davantage celle de leur départ, ni même le pourquoi de l’arrivée des Talibans. Tout reste tellement superficiel qu’on pourrait croire que le livre a été écrit par un occidental n’ayant jamais mis les pieds là-bas, et simplement un peu au fait des événements et de la culture locale.
Par ailleurs, l’écriture de Khaled Hosseini n’a rien d’extraordinaire. On sent l’art d’un adepte du beau style, peaufinant des réflexions profondes (qu’une nouvelle fois, je verrais bien conçues pour leur adaptation au grand écran). Etrange paradoxe pour un auteur qui décrit son personnage principal comme un écrivain hors du commun, encensé par ses proches comme par la critique.
« J’étais assez satisfait [de mon dernier roman]. Certains critiques l’avaient estimé bon, et l’un d’entre eux avait même employé le terme "captivant". » (le narrateur sur lui-même, p. 263). Sa femme n’est pas en reste : « Tu as un talent incroyable ! Je n’en reviens pas. »
Après tout il n’y a pas de mal à se faire du bien et à se passer des doses massives de pommade. Quel dommage, pour monsieur Hosseini, d’avoir renoncé à stimuler son savoir-faire d'écrivain pour nous proposer un aperçu de ces qualités si généreusement auto-proclamées. Son emploi revendiqué des clichés de langage est, à la longue, fatigant, tout comme l’étalage des inestimables qualités du héros dans la dernière partie. Son épouse s’émerveille : « Tu es si différent des autres Afghans ». Ben voyons. Page 270, le voilà qu’il fourre une liasse de billets de banque sous le matelas d’une famille pauvre. Quelques chapitres plus loin, un avocat tient à lui dire qu’il trouve sa démarche « admirable ».
Tout cela est bien joli, on aimerait juste que l’auteur lâche un peu la bride au lecteur, lui fasse confiance et lui laisse décider ce qui est admirable et ce qui l’est moins.
Quant à la couleur locale, elle est très facilement donnée par l’emploi de mots afghans incorporés au texte.
« Tu as vu ça ? elle est aussi maghbool que la lune » (p. 204). On est bien heureux de le savoir, assurément.
« Tu es khoshteep, me complimenta mon père. Très beau. » Le procédé, systématique tout au long du livre, serait moins pénible si au moins l’on avait un petit lexique et un aperçu de la prononciation correcte.
« Personne avec qui s’asseoir autour d’une tasse de chai ». Une inoffensive tasse de thé, c’est sans doute trop demander. Mais la phrase serait tellement plate si on mettait tout en français, n’est-ce pas ? Au passage, je me demande pourquoi on s’acharne à écrire « chai » un mot qui, j’en suis persuadé, se prononce « tchaï ». De même, je verrais bien remplacer « Noor » par « Nour ». Que je sache, deux « o » à la suite n’ont jamais donné le son « ou » en français. Mais c’est sans doute plus chic d'écrire un mot afghan à l’anglaise.
Si l’histoire se laisse lire, elle n’est pas ce chef d’œuvre du siècle que nous décrivent tant de critiques à travers le net. La note maximale donnée par les acheteurs de la FNAC m’apparaît singulièrement disproportionnée. Si l’on donne 10/10 aux Cerfs-volants de Kaboul, que restera-t-il pour les vrais sommets de la littérature ? Par curiosité, je suis allé consulter la note donnée au Père Goriot. Eh bien, Balzac est ridicule : son roman récolte un piètre 3/10. Enfoncé, le vieil Honoré de.

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