samedi 22 novembre 2014

Le Suicide Français d'Eric Zemmour : une critique

Eric Zemmour aime la France, c'est sa raison d'écrire. Il aime la France, son passé prestigieux, ses écrivains, sa place dans l'histoire qui la mettaient en position de dominer le monde, de parler en maître à l'Allemagne, à l'Angleterre et à la Russie, de se tenir à distance des Américains cauteleux.

Le Suicide Français, sous-titré Les 40 années qui ont défait la France, tient une chronique rétrospective des événements qui selon l’auteur ont fait de la France un pays déconstruit, un bateau ivre, une nation de second rang au bord de la guerre civile. Chaque chapitre est conçu selon le même modèle. Le point de départ est une date, de 1970 à 2007, et l'exposé d'un fait de société de cette année : une décision politique, une chanson, un film, ou encore une partie de football. Il rappelle le contexte de cet événement et en développe les conséquences. Elles sont toujours négatives : le fait que l'on pensait anodin portait en lui un ingrédient qui, on le voit maintenant, a fait reculer la nation française, participait d'une sourde entreprise à notre déclin. Les décideurs angéliques préparaient le suicide français.


Des polémiques


Le chapitre sur le droit des femmes (17 janvier 1975 - La femme est l’avenir de l’homme) a choqué. L'auteur ne prend pas une position pro-vie, ne dit pas que l'embryon est un être humain, ou qu'il souffre. Son discours est autre : « Quand Debré entend le mot avortement, il ne sort pourtant ni son revolver ni son crucifix, mais sa calculette. Il compte et il pleure. Il compte les enfants qui manqueront, selon lui, à la France et il se lamente sur la puissance perdue, enfuie à tout jamais. » J'ignore si le calcul est défendable, et si la baisse de la natalité est due, et en quelle proportions, à la loi sur l'avortement. Zemmour souligne le militantisme du MLF et l’abdication des hommes. Mais jamais il n'étudie l'hypothèse d'un maintien de l'interdiction d'avorter. Si notre démographie se serait mieux portée – ce que je ne sais pas dire – est-ce qu'il fallait continuer avec ce réseau d'avorteurs clandestins, plus ou moins véreux, que l'on payait au noir, avec les risques sanitaires que l'opération comportait ? Fallait-il que les femmes continuassent à se rendre à l'étranger pour se faire avorter dans des conditions acceptables ? Ces questions ne sont pas débattues : or elles sont au cœur du débat.

D'autres passages ont fait polémique. Les Juifs français protégés par Pétain ? « Les mêmes (historiens de l'après-guerre) expliquaient le bilan ambivalent de Vichy par la stratégie adoptée par les Pétain et Laval face aux demandes allemandes : sacrifier les Juifs étrangers pour sauver les Juifs français. », écrit Zemmour. La thèse surprend. J'aurais aimé que ses contradicteurs, à la télévision, lui opposent des éléments historiques. Je n'ai vu qu'échanges de noms d'oiseaux et anathèmes. N'étant pas historien, pour ma part, je note cette thèse surprenante, dans l'attente d'être plus instruit. Le point qui fait débat est celui des intentions : Vichy a-t-il réellement voulu préserver les Juifs français de la barbarie nazie ? Ou bien le nombre de sauvés ne s'explique-t-il que par le retard d'application du sinistre plan ? Zemmour choisit la première hypothèse, ce en quoi il ne semble pas suivi par la plupart des historiens contemporains. Mais la question devrait mériter une réponse pédagogique, argumentée, plutôt que de regrettables coups de sang qui ne servent pas la cause de la vérité historique.

L'insupportable libéralisme


Mais Zemmour n'aime pas toute la France. Une chose lui déplaît souverainement dans la Révolution Française : c'est la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Le mot de déclaration est essentiel. Les auteurs du texte se posaient en observateurs d'une réalité qui les dépasse. Ils déclarèrent donc – et non décidèrent – que l'homme est naturellement libre, et que ce droit est imprescriptible. Cette liberté fondamentale ne provient donc pas du bon vouloir d'un gouvernement : elle précède toute posture politique. Elle n'est pas une loi que l'on peut faire et défaire : c'est une vérité avec laquelle il faut composer.

Ce discours est libéral au sens premier. On l'a peut-être oublié : les premiers révolutionnaires étaient des libéraux. La gauche des origines était libérale. Mais voilà : ce libéralisme est insupportable pour Zemmour, qui place l'Etat au-dessus de tout. L'Etat, c'est Napoléon, c'est de Gaulle, de grands hommes qui avaient compris le jeu intime des nations - l'ennemi anglais, la puissance allemande – et s'efforçaient de donner à la France sa juste mesure.

En aimant l'Etat français, quand il est fort, Zemmour ne tolère aucun pouvoir qui puisse lui être supérieur. On comprend mieux pourquoi la phrase de Marx, qui explique que tout droit est le droit de la classe dominante, plaît tant à Zemmour. Elle introduit le relativisme, dans la lignée de Johann Gottfried von Herder, là où 1789 proclamait un absolu. Ce relativisme fait de Zemmour un héritier du romantisme, à l'instar de Marx qu'il cite à tout champ, un romantique nationaliste français. Voici cet étrange penseur : un Français qui rejette l'enseignement de nos Lumières, à portée universelle, pour lui préférer le culte du local. Cette posture le met en position de refuser tout libéralisme, ou plutôt ce qu'il imagine être du libéralisme. Car dans le domaine Zemmour confond loi du marché, libre-échangisme, capitalisme et libéralisme, termes qu'il emploie indifféremment dans ses différentes chroniques au moment où la cause du malheur doit être expliquée.

Ainsi l'on lit que la Chine serait "économiquement libérale". L'expression révèle une incompréhension manifeste : le libéralisme n'est pas une doctrine économique. Un pays non libéral dont l'économie serait libérale est une contradiction dans les termes. Dans une Chine libérale, un entrepreneur pourrait faire traduire et diffuser les écrits de Zemmour ; or celui qui aurait une telle audace aujourd'hui risquerait fort de se retrouver emprisonné dans le goulag local, le sinistre loagai. Un pays avec des camps de rééducation n'est pas un pays libéral. La Chine n'est pas libérale. Son économie est capitaliste et, contrairement à ce qu'écrit Zemmour, il y a beaucoup d'exemples de dictatures capitalistes. Zemmour cite le Chili de Pinochet. Il aurait pu ajouter la Yougoslavie de Tito, le Mexique pour une bonne partie du siècle dernier, les « dragons asiatiques » parmi d'autres. Pays tous capitalistes sans être libéraux pour autant.

C'est pourquoi Eric Zemmour se trompe quand il raille une pensée naïve qu'il prête aux libéraux, selon lesquels, à l'en croire, le « libéralisme économique s’accompagnerait inéluctablement de sa version politique des droits de l’homme, démocratique et libérale » : ce qui compte avant tout c'est la liberté, qui s'impose naturellement au domaine économique comme aux autres. C'est aussi pourquoi l'expression qu'il emploie de « libéralisme modéré » est un non-sens.

Ailleurs, Zemmour écrit : « Ils s’opposaient à la "mondialisation néolibérale" sans comprendre que l’expression était un pléonasme. ». C'est faux : la mondialisation aurait pu être nazie ou soviétique ; elle représente encore le but des islamistes. Nos anciens anti-mondialistes se sont rebaptisés alter-mondialistes : il veulent une autre mondialisation. Autrement dit ce n'est pas la mondialisation qui les révulse, mais la mondialisation telle qu'elle s'annonce aujourd'hui.

Le libéralisme serait donc, selon l'acception majoritaire reprise ici par Zemmour, une entreprise d'esclavagisme vouée au seul profit. On se demande bien pourquoi Victor Schoelcher, le député qui fit voter l'abolition de l'esclavage, n'était ni socialiste ni marxiste d'aucune obédience, mais libéral. Pourquoi la loi qui limitait le travail des enfants fut présentée par des députés libéraux. Et pourquoi ces profiteurs égoïstes obnubilés par l'argent auraient combattu tant d'années pour enfin arracher à Napoléon III le droit de grève. Il y a plus : bien des syndicalistes actuels s'étrangleraient si on leur rappelait que c'est un ministre libéral, Pierre Waldeck-Rousseau, qui a autorisé le syndicalisme en France ; le même Waldeck-Rousseau qui lança en 1899 la révision du procès d'Alfred Dreyfus.

De Marx à Marchais


Voilà, sous la plume de Zemmour, Marx en phare de la pensée universelle, plus actuel que jamais. Or encenser Marx, c'est chanter les louanges d'un architecte au génie hors pair, dont tous les immeubles se seraient effondrés en massacrant la moitié de ses occupants et en laissant les autres infirmes.

Que vaut donc une pensée dont la moindre mise en œuvre ne s'est jamais traduite qu'en terme de pénurie, d'arbitraire, de séquestration et de massacres de masse ? Marx, avec son état tout puissant – et donc responsable de tout – plaît à Zemmour qui ne supporte pas le libéralisme. Dans chaque chapitre de son livre, les causes de l'échec sont identifiées : elles se nomment le marché, les Américains, l'approche libérale. A en croire Zemmour, nous vivons dans une soupe libérale depuis quatre décennies, et de là vient le désastre français. Taper sur les « libéraux » est un réflexe constant de la classe politique française, et on regrette de voir Zemmour tomber dans le même sempiternel panneau. La loi de la jungle ? Le libéralisme. Les travailleurs-esclaves ? Le libéralisme. L'affaiblissement de l'école ? Le libéralisme.

Tous les maux de la Terre ? Le libéralisme, le libéralisme vous-dis-je ! Pourrait s'exprimer Toinette-Zemmour.

Sa détestation du libéralisme, responsable de tous les malheurs, le pousse naturellement à réhabiliter la mémoire de Georges Marchais. Le métallo au langage fruste, digne représentant de la classe ouvrière, a laissé un souvenir amusé dans l'imaginaire des enfants de la télé. Gardons-nous des faux souvenirs : l'homme n'était pas qu'un pitre. Le premier secrétaire du PCF, parti grassement payé en sous-main par le grand frère soviétique grâce aux bons offices de la Banque du Nord, était un féroce idéologue, rompu à toutes les techniques dilatoires destinées à déstabiliser ses contradicteurs pour éviter de répondre aux questions sensibles.

Ses attaques personnelles, sa mauvaise foi terrorisaient les journalistes. Marchais donc, « dernier gaulliste » pour Zemmour, s'était engagé volontaire pour travailler au profit des Nazis pendant la guerre. Singulier gaulliste, en vérité, que cet opportuniste planqué chez l'ennemi, logeant à l'auberge du Bélier Bleu à Augsbourg, ainsi que l'avait révélé l'Express, petit collabo n'ayant même pas l'excuse du STO – un simple examen des dates prouve qu'il travaillait chez Messerchmidt avant l'instauration du travail obligatoire, en 1942. Marchais œuvrant pour le national-socialisme mettait ses pas dans ceux de Thorez, réfugié à Moscou avec un laisser-passer allemand.

Marchais rejetant les « deux blocs » ? Zemmour invente. Le 1er secrétaire du PCF déjeunait avec les Ceaușescu au bord de la Mer Noire et estimait que le Soviet Suprême était plus libre que notre Assemblée Nationale. Là où Zemmour croit deviner une prescience extraordinaire d'une nouvelle époque soumise à la toute-puissance capitaliste, il n'y avait en réalité que débandade face à la crise des électeurs. L’ouvrier remplacé par l'émigré, voilà qui allait précipiter la chute de l'électorat traditionnel – un électorat qui devait préparer bien évidemment le Grand Soir avec la main bienveillante des sbires de Brejnev. Zemmour voit de la lucidité où il n'y avait vraisemblablement qu'une pitoyable tentative de colmater la fuite des votes.

Zemmour rapproche l'intervention soviétique en Afghanistan et la guerre que menèrent au début du XXIe siècle les Américains : ne s'agissait-il pas de combattre le péril islamique ? C'est évidemment une illusion. L'invasion de 1978 était le fait d'arme d'un pays totalitaire, avide de dominer le monde, qui entendait ainsi affirmer sa puissance en Asie, ajouter un nouveau pays à son empire. A cette époque les Talibans n'existaient pas. Et tous les Afghans qui défendirent leur pays n'étaient pas des islamistes. Avons-nous oublié Massoud ? L'Amérique est entrée en guerre, avec l'aval de l'ONU, contre un pays complètement différent, mené par des fous de Dieu qui avaient offert l'asile aux responsables des attentats du 11 Septembre. Et non pour y installer un dictateur à leur botte à la façon soviétique : l’Amérique se moquait comme d’une guigne de ce pays lointain et arriéré et n’y est allé qu’en réponse à une agression, au contraire des Soviétiques, impérialistes par essence.

Quant à la lettre de Marchais pour défendre l'enseignement de l'histoire à l'école, ne nous y trompons pas. On sait de quelle histoire il s'agit : celle où il n'a pas été volontaire pour travailler en Allemagne mais victime du STO ; celle où les révolutionnaires de 1956 à Budapest étaient des agents impérialistes ; le monde enchanté où la RDA est un modèle de réussite économique, où l'URSS regorge de récoltes faramineuses, digne sauveuse d'une Russie tsariste encore au Moyen-Âge. Contrôler l'enseignement de l'histoire, ce vieux rêve de tous les idéologues.

Erreurs et approximations


La logique des deux blocs, qui permettait à de Gaulle de se placer en sage arbitre entre deux adversaires, est un mythe. Il n'y avait, il n'y a jamais eu deux blocs. D'un côté, un empire totalitaire, sans élections libres, sans liberté de la presse, sans liberté de circuler ; de l'autre, des pays plus ou moins libres, plus ou moins démocratiques, plus ou moins d'accord entre eux. De Gaulle voyait le monde comme au XIXe siècle, sans comprendre qu'après la guerre les idéologies primaient les nations. Zemmour peut construire un discours rétrospectif sur ces 40 années, mais cela ne le dispense pas de respecter les faits : or sur ce point nous restons sur notre faim. Le livre comprend beaucoup d'approximations ou de choses fausses : Marchais n'était pas victime du STO, Harlem Désir (et non Malek Boutih) était président de SOS Racisme au moment de l'affaire des voiles à Creil, c'est Hara-Kiri et non Charlie Hebdo qui fit sa fameuse une après la mort de de Gaulle, le monde n'a pas été partagé à Yalta contrairement au délire gaulliste.

Il insulte la mémoire de Guynemer quand il assène que la « Première Guerre mondiale (était le) premier conflit de l’Histoire qui ne fabriquait pas de héros autres qu’anonymes ». Il croit qu'Internet est « le corollaire » du PC quand ces deux projets n'ont à l'origine rien à voir, et qu'internet est même plus ancien. Il croit que Gorbatchev a été pris d'un réflexe « hamletien » en refusant de massacrer les foules de 89 alors que George Bush avait prévenu sans ambiguïté qu'une action violente ne laisserait pas l'Amérique inactive. Il parle du « cow-boy Camel » (et non Marlboro). Il croit, comme tant d'autres hélas ! que Fukuyama annonçait la « Fin de l'histoire », quand l'essayiste américain examinait le monde contemporain selon la grille de lecture hegelienne revue par Kojève. Il oublie les Coupes des confédérations de 2001 et 2003 quand il affirme qu'après l'Euro 2000 « le football français n’a plus remporté une seule compétition internationale. » Il se méprend en écrivant mal "Ceaucescu". Il attribue à Karl Marx un passage de l'Esquisse d'une critique de l'économie politique de Friedrich Engels. Il voit dans la célèbre Pétition des fabricants de chandelles de Frédéric Bastiat une « intention providentialiste » que le texte n'évoque en aucune manière. Il méconnaît l'histoire musicale quand il profère que « les Beatles sont assez vite rentrés dans le rang de l’embourgeoisement et de la variété musicale » : que l'on compare l’inoffensif Love me do (1963) et A Day in a life (1967), avec ses allusions à Krzysztof Penderecki.

Zemmour affirme que la gauche « refusait par principe de se sentir étrangère à un soulèvement d’où qu’il vienne. Elle était avec les communistes russes en 1917 ; avec les Chinois en 1949 ; avec les Cubains en 1959 ; avec le FLN en 1962. » C'est trop vite dit : la gauche était-elle du côté des insurgés de Budapest en 1956 ? Des révoltés tibétains contre l'occupation chinoise ? des Vénézuéliens contre Chávez ?

Il tord la pensée de Levi-Strauss : « Comme l’avait deviné dès 1962 Claude Lévi-Strauss : "Le but dernier des sciences humaines n’est pas de constituer l’homme, mais de le dissoudre." L’heure venue, le Marché s’emparera sans mal de ces hommes déracinés et déculturés pour en faire de simples consommateurs. »

On ne voit pas le lien entre les deux phrases. Lévi-Strauss parlait des sciences humaines, incapables selon lui de définir un homme mais bien au contraire d'en faire valoir les infinies richesses. Zemmour s'empare de cette opinion pour disserter sur le maudit marché qui veut faire de nous des « hommes déracinés et déculturés », de « simples consommateurs ». Chacune de ces deux phrases peut être discutée, mais il n'y a pas d'enchaînement logique entre elles.

Quand il annonce que « Depuis les deux guerres mondiales, la guerre était devenue un tabou en France et dans tout le continent européen. On était persuadé en Europe (et seulement là) que l’avenir appartenait au droit, aux normes et au marché. Le canon était désuet, condamné à rouiller dans les poubelles de l’Histoire », il oublie la majeure partie du continent européen, dans laquelle l'état de guerre ou la guerre elle-même étaient des réalités : à Budapest, à Prague, en Pologne ou en Yougoslavie, la force militaire s'est déployée sans vergogne, faisant couler le sang de nations européennes. Il oublie que la seconde guerre mondiale ne s'est terminée, pour ces peuples, qu'en 1989, ou même une dizaine d'années plus tard pour les ex-Yougoslaves. Et il oublie de mentionner ce fait inouï dans toute l'histoire : jamais des états membres de l'Europe politique, la CECA, la CEE et l'UE, ne sont entrés en guerre les uns contre les autres. Nous qui vivons dans un continent dont l'histoire est parsemée d’invasions guerrières, dans lequel trois décennies de paix étaient il n'y a pas si longtemps un événement exceptionnel, nous devrions pourtant savoir ce que l'Union Européenne nous a apporté. Le marché, voyez-vous, est un ennemi si redoutable qu’il nous prive de notre droit fondamental de guerroyer une nouvelle fois, et de montrer aux Allemands qui est le maître en Europe continentale. Est-ce au détriment de la souveraineté ? Sans doute. Faut-il le regretter comme le fait Zemmour ? A chacun d'en décider. Mais pour cela il faut poser les faits : c'est ce qui manque ici.

Le Suicide Français est parcouru par une intention finaliste. Les événements n'arrivent pas par hasard, et quand le fil est ténu, Eric Zemmour fait parler les morts. Le Luron et Coluche avaient « une grande prescience », et ce dernier agissait «  comme s’il sentait qu’il n’avait plus que quelques mois à vivre. » « Les communicants mitterrandiens avaient deviné les temps à venir ». L'intervention divine n'est jamais absente : « La punition céleste poursuit toujours les méchants là où ils ont péché. »

Sur la disparition à quelques mois d'intervalle de Coluche, Le Luron et Véronique Mourousi, il note :

« Dans l’Antiquité, ces morts accumulées auraient été vues comme des présages sinistres, entourant cette parodie d’une aura funeste. Mais nous nous croyons à l’abri de toutes les malédictions des Dieux »

Ce passage n'est pas clair. Que faut-il comprendre ? Qu'une société superstitieuse aurait pensé que ces morts n'arrivent pas par hasard ? C'est, d’un point de vue factuel, exact. Mais une société lucide ne pense pas ainsi. Faut-il regretter les temps où l'on croyait à des interventions surnaturelles ? A un monde gouverné par des forces inintelligibles ? « Nous nous croyons à l’abri de toutes les malédictions des Dieux », écrit Zemmour. Reversement sémantique : devient croyant celui qui précisément récuse les croyances. On peine à lire cette vieille scie, qui voudrait que l’athée soit un croyant comme les autres. Encore un indice de l’approche relativiste choisie par Zemmour.

Le procès de de Gaulle


Eric Zemmour a raison de dénoncer le capitalisme de connivence (ce qu’il croit être le libéralisme) sans se rendre compte que la connivence est l’enfant naturel d’une société où tous les pouvoirs sont concentrés, fruit d’une Constitution toute-puissante.

Le libéralisme en politique est bien oublié en France, et absent du débat depuis plusieurs décennies. Zemmour, comme tant d'autres, guerroie contre un fantôme.

Cette mise en accusation d'un pur fantasme cache un procès qui hérisse Zemmour. Celui du gaullisme politique, de cette période dont nous avons hérité une Constitution, adoptée en temps de guerre par un chef de guerre, qui rend l'Etat obèse, pataud et dilettante. Un état tout puissant et incapable de la moindre souplesse, gorgé d'impôts et de subventions, qui a oublié le fondement même de la République, qui est d'assurer la liberté à chacun tant qu'il ne nuit pas aux autres ; de garantir le droit de propriété, ce droit qui hérisse les marxistes de toute tendance. Un Etat qui octroie à son chef le pouvoir de dissoudre l'Assemblée, alors que la motion de censure des députés ne touche que le Premier ministre. Un tel pouvoir entraîne sa propre voracité. Si déclin de la France il y a, depuis l'époque de de Gaulle, ce n'est certainement pas à cause d'une approche libérale, qui n'a jamais existé que dans les pires cauchemars de certains.

Bien au contraire, dans la droite lignée des pouvoirs exorbitants de la Constitution, le pays succombe à l'hypertrophie galopante, année après année, des charges que l'Etat accumule, des affaires qu'il estime de son devoir de réguler sans rien y comprendre et surtout sans qu'il lui soit demandé son avis : qui contrôlait le Crédit Lyonnais quand l'établissement a fait faillite ? L'Etat. La leçon est valable pour l'étranger. La crise des subprimes vient d'une injonction du gouvernement américain à ses administrations de financer les ménages pauvres : le monde devait se fracasser contre le mur de la réalité et l'insolvabilité des malheureux ménages financés à fonds perdus. Évidemment on n'accusa pas l'Etat mais ces rapaces de capitalistes, quand l'origine du désastre fut un geste social que n'aurait pas renié Mélenchon.

Zemmour reste pertinent au sujet de l’islam. Il a raison de dénoncer l’aveuglement de la gauche française après l’attentat de la Rue Copernic, automatiquement attribué à l’extrême-droite alors que les coupables venaient du Proche-Orient. Il pointe avec justesse la détestation de soi qui a saisi les Français, en prenant pour exemple la chanson Lily de Pierre Perret ou le film Dupont Lajoie d'Yves Boisset. Nous serions tous racistes, incapables d’empathie, de véritables incarnations du beauf de Cabu. Ce qui était une alerte salutaire dans les années 70 : attention à ne pas devenir comme eux ! - est devenu un modèle imposé à la nation. Vous voulez interdire les prières dans les rues ? Mais vous êtes un Dupont Lajoie, monsieur.

On s’étonne de ne pas trouver d’allusion au Sanglot de l’homme blanc, essai de Pascal Bruckner (1983) construit autour de cette thématique, ou au dernier ouvrage de Christian Jelen, le percutant La guerre des rues (1998). Eric Zemmour aurait aussi pu citer les films parodiques OSS 117 avec Jean Dujardin ou le grand succès Intouchables, qui procèdent de la même approche : le Français est stupide, l’étranger toujours admirable. Du côté de la bande dessinée, on pouvait rappeler l'existence d'une courte histoire de Gérard Lauzier, Paris sera toujours Paris, à la fois scandaleuse et brillante, comme souvent chez ce grand dessinateur. On est aujourd'hui étonné de trouver, au générique du sketch qui en a été adapté en 1985 pour le film Tranches de vie, les noms de Josiane Balasko et Jean-Pierre Darroussin.

Ces passages intéressants - au sens où ils ouvrent un vrai débat sans s’appuyer sur une histoire reconstruite, mais sur une réalité plus proche et donc plus tangible - méritent d’être lus. On rapprochera l’histoire du voile à Creil avec la remarquable analyse qu'en a faite Alain Finkielkraut avec son livre l’Identité malheureuse.

Relire Revel


Jean-François Revel, dans un livre bouleversant de 1983, Comment les démocraties finissent, avait donné sa propre analyse d’un suicide, non pas français, mais des pays libres en général. Revel pointait l’ennemi des années 80 : l’URSS et ses alliés objectifs, et tous ceux qui, à leur insu ou non, relayaient les thèses soviétiques en terre démocratique.



Sa pensée reste du plus haut intérêt. Les mécanismes qu’il décrit sont les mêmes aujourd’hui, qui poussent une partie de la population à prendre fait et cause, et parfois les armes, contre les démocraties. Jean-François Revel était, selon Zemmour, « porté par un antimarxisme militant qui l’aveuglait souvent » : l’on ne voit rien, ni de près ni de loin, qui justifie pareil jugement. Il faut lire et relire la Tentation totalitaire, Ni Marx ni Jésus, la Connaissance inutile, la Grande Parade et tant d’autres ouvrages pour comprendre à quel point cet auteur était dans le vrai à une époque où tout le monde, ou presque, se trompait. Il n’était pas antimarxiste, c’étaient les marxistes, au nom de leur prétendue science, qui étaient anti-Revel. Revel n’était pas militant : il défendait la démocratie, la liberté, et ne se laissait pas tromper par les communiqués officiels de la Pravda, quand tout le monde célébrait le miracle soviétique, est-allemand ou bulgare, et qu'en 1976 Jacques Delors décrivait dans un mémorable Apostrophes les mérites de la République populaire de Hongrie.

Il ne se laissait pas embrigader, à la différence de Zemmour, dans l’histoire réécrite de la chute d’Allende. Et, au contraire de Zemmour, il n'a pas plus succombé au réflexe moutonnier anti-américain, quand bien même il savait fustiger la politique des Etats-unis.

Mais Revel était un libéral. Cette étiquette infamante devait lui interdire la juste reconnaissance. On s’étonne de ne pas trouver son oeuvre en librairie, à l’exception du consensuel et insipide Le Moine et le Philosophe, co-écrit avec son fils Matthieu Ricard. Tout homme cultivé devrait lire Revel : pas pour nier Zemmour, mais pour comprendre qu’une autre approche d’un déclin occidental existe, étonnamment lucide et contemporaine, soucieuse des faits et sans aucun doute plus pertinente que celle du Suicide Français.


Alain Chotil-Fani, novembre 2014


La tentation totalitaire (1976) : le livre d'un homme de gauche qui scandalisa la gauche


Quelques liens


La Pétition des fabricants de chandelles de Frédéric Bastiat : http://bastiat.org/fr/petition.html

Site consacré à Jean-François Revel : http://chezrevel.net/

Le libéralisme pour les débutants : http://www.dantou.fr/

Paris sera toujours Paris, avec Josiane Balasko et Jean-Pierre Darroussin, extrait du film Tranches de vie de François Leterrier (1985) d'après une bande dessinée de Gérard Lauzier : http://youtu.be/lrhj4hHtxFQ

Les accords de Yalta : http://mjp.univ-perp.fr/traites/1945yalta.htm

Un extrait de La tentation totalitaire de Jean-François Revel sur le coup d'Etat chilien de 1973 : http://reellerealite.perso.sfr.fr/La%20tentation%20totalitaire.htm

Apostrophes de 1976 avec Jean-François Revel,  René Andrieu et Jacques Delors : http://youtu.be/aYYMFTB5AtI

Un article sur la crise des subprimes : http://www.contrepoints.org/2013/02/26/116215-fannie-mae-et-freddie-mac-linterventionnisme-source-de-la-bulle-immobiliere


dimanche 21 septembre 2014

La Tour de La Havane


Edité furtivement dans les années 2000, le roman « La Tour de La Havane » (Torre de La Habana) est une parabole d'une liberté retrouvée et finalement dérangeante. Son auteur est inconnu : seules ses initiales supposées, « JDMC », ornent la couverture de l'ouvrage édité au Chili. (1) Mais il s'agit peut-être d'un stratagème pour soustraire à la censure castriste un auteur originaire de l'île.

Le personnage principal, Alvaro, est employé dans un administration cubaine. Il rejoint chaque jour son bureau au dernier étage d'une tour. Mais un matin, il se rend compte que tous les appareils électriques sont inertes. L'ascenseur ne répond plus. Le téléphone est muet. Il décide de quitter la tour en empruntant l'escalier.

La première partie du livre décrit la longue descente d'Alvaro à travers les étages. Il fait à cette occasion plusieurs rencontres. Arrivé à un palier, il découvre un atelier destiné à fabriquer des « formes étranges, dont l'ombre fantasmagorique revêt les murs », ce qui l'emplit d'une indicible terreur.

Quelques étages plus bas, un homme athlétique, âgé et barbu, se jette sur lui. Alvaro a l'impression qu'il veut lui arracher les yeux : « Le vieil homme avait bricolé une gaffe au bout de laquelle était fixée une série de pointes. Il la faisait doucement onduler au niveau du regard d'Alvaro, prêt à frapper dès le moment propice. Son visage ne reflétait aucune haine, plutôt la ferme volonté d'accomplir une besogne ». Alvaro sort vainqueur du combat et s'approprie le vaste garde-manger du vieillard.

Poursuivant sa descente, il trouve l'appartement luxueux d'une courtisane, tout de soie et de velours. Son hôtesse veut le garder auprès de lui, et y parvient un temps. Mais l'homme préfère finalement continuer son chemin.

Arrivé au pied de l'immeuble, il constate que la sortie en est bouchée par un mur de béton. Une échancrure a été pratiquée dans sa partie supérieure. A travers celle-ci, il entend une rumeur qui lui rappelle les bruits d'un cirque ou d'une fête foraine.  

Dans la deuxième partie du livre, Alvaro trouve une sortie. Il contemple enfin La Havane mais sans la reconnaître. Il découvre de vastes trottoirs sur lesquels courent, écouteurs vissés à l'oreille, jeunes hommes musclés et demoiselles en maillot de bain. Des voitures roses et de gros 4x4 roulent lentement au long de bordures fleuries. Un casino a ouvert ses portes et diffuse une musique de bastringue.

« Les Américains ont envahi l'île », pense le héros. Pour s'en persuader il se rend à quelques rues de là, où il existait, à son souvenir, un immense portait de Che Gevara, peint à même une façade. « Sûr qu'il l'auront recouvert avec l'une de leurs cochonneries », songe-t-il. Mais le portait est toujours là. Quelqu'un a simplement ajouté un ornement autour de la fresque, un cadre gigantesque imitant un écran de télévision ou d'ordinateur, avec cette légende : « Oui, ma pensée a tué 80 millions de personnes ». Et dessous, la formule : « Avec CNN même les tortionnaires disent la vérité ».

Intrigué plus que scandalisé, Alvaro veut savoir ce qu'est devenu le slogan peint dans la quartier de Vedado et proclamant « Messieurs les impérialistes, vous ne nous faites absolument pas peur » (Señores imperialistas no les tenemos absolutamente ningún miedo). Il y est toujours, flanqué de son petit personnage de bande dessinée, mitraillette en main, s'adressant à une caricature de l'Oncle Sam. Mais juste à côté, on a érigé une autre peinture de grandes dimensions, montrant l'oncle Sam et le petit personnage, visiblement enchantés de dévorer ensemble un énorme hamburger. La mitraillette est posée contre le mur et on a glissé en son fût une fleur toute jaune. Une légende peinte dans les mêmes caractères que le slogan original dit : « Manger chaque jour à sa faim, ce n'est pas de l'impérialisme ! ». Alvaro voit des gens sortir d'une porte pratiquée au bas de la fresque. C'est l'entrée d'un Mac Donald's. Un gamin tient une petite figure de plastique : c'est le personnage à la mitraillette serrant la main à Ronald McDonald.

Les gens passent auprès d'Alvaro comme s'il n'existait pas. Dans le reflet d'une vitrine Guess, il prend conscience de son vêtement abîmé et de ses traits veillis. Une « barbe touffue et anarchique » mange son visage. Il prend peur. Il n'a pas vu de vieux dans cette ville transformée. Il décide de rejoindre la tour.

La troisième, et dernière partie, est la plus courte. Alvaro remonte dans la tour, aussi haut qu'il le peut pour ne plus entendre la rumeur de la rue. « Ne voudra-t-il pas revenir à sa situation antérieure ? » questionne l'écrivain. La réponse paraît claire : le héros choisit de rester vivre là le restant de ses jours.

*
**

Comme si souvent dans la littérature latino-américaine, quotidien et fantastique s'entrelacent sans que l'on puisse démêler ce qui touche à chaque genre. Il semble évident qu'Alvaro, dans la première partie qui décrit la descente, passe en réalité plusieurs années dans la tour. On peut y voir un très lent « retour sur terre » après la faillite de l'illusion communiste.

Ce qui arrive à Cuba n'est pas clair. La panne générale qui débute le roman est peut-être un sabotage, une attaque des Etats-unis ou la conséquence d'une gestion désastreuse. Mais le résultat ne fait pas de doute : l'île devient une sorte de succursale de Miami ou de Key West, avec ses joggeurs m'as-tu-vu et ses autos rutilantes, le règne du fric et de la malbouffe. Ce n'est pas tant par affection du régime disparu qu'Alvaro renonce à ce nouveau monde, mais plutôt par la prise de conscience qu'il lui est désormais complètement étranger. Lui-même est devenu, à son insu, un vieil homme, une figure hideuse de clochard. Il ne possède pas (ou plus) le ressort suffisant pour s'adapter à la vie « libre ». Son retour dans la tour emmurée est un renoncement mais aussi la promesse d'une existence assurée : il y retrouve le garde-manger de son agresseur et, peut-être, les bras de la courtisane.

Le vieillard agressif de la première partie, avec son gabarit impressionnant, sa barbe blanche et touffue, est sans doute une métaphore de Fidel Castro, gardien jaloux de richesses qu'il conserve pour lui seul (on songe aux Animaux de George Orwell). Le fait qu'il veuille l'aveugler, et non pas le tuer, pose question. On peut imaginer, dans l'ordre du fantastique, qu'en rejoignant la tour, Alvaro, lui-même âgé et barbu, finisse par devenir le vieillard agressif. En aveuglant les autres, ceux qui ne savent pas encore, il préserve ainsi l'illusion d'un monde et évite la révélation d'un avenir libre mais détestable selon ses critères. On peut comprendre pourquoi son geste paraît dépourvu de haine. C'est une besogne, sale, mais salutaire.

La tour de La Havane recyclerait de la sorte le mythe de l'éternel retour. L'auteur voulait aussi montrer, on peut le penser, que des décennies de propagande auront fait de ce peuple un peuple d'handicapés à l'esprit définitivement embrigadé. Revenir à une situation « normale » - démocratique – est alors impossible. Un petit Fidel veille sur l'esprit de chaque Cubain, nous fait comprendre l'auteur, et tout Cubain devient dès lors une mini-incarnation du Líder Máximo. Seules les jeunes générations, relativement indemnes de ce lavage de cerveaux, ont encore quelque espoir de pouvoir s'adapter. On se souvient qu'à La Havane, Alvaro ne croise que des jeunes et des enfants. Ce que les personnes âgées sont devenues n'est pas expliqué. Chaque vieux vit-il reclus dans une tour ?

Pour autant la liberté n'est pas un paradis. C'est un monde où tout reste à faire. En décrivant la vie « floridienne » des nouveaux Cubains, l'écrivain pose un regard sans indulgence sur un certain mode de vie artificiel et voué aux apparences.

Il y a de l'Ulysse dans la très longue quête de la première partie, avec ses chausse-trapes et ses tentations. Alvaro a trouvé sa Calypso chez la courtisane, et comme Ulysse il choisira de la quitter pour retrouver son île. Mais voici une Ithaque bodybuildée avec des Iphones à chaque coin de rue et des enfilades de boutiques Guess ou Armani. Là où Ulysse regagnait sa place au cœur des siens, Alvaro préfère le renoncement – et le réconfort des bras de sa tendre « aux belles boucles ».

JDMC a aussi choisi, fort habilement, de mêler l'Odyssée au mythe de la Caverne de Platon. L'étrange atelier aux ombres épouvantables est un indice transparent, tout comme l'est la brutale révélation d'un monde insupportable mais bien réel. En évoquant la République, l'auteur donne un élément de réflexion supplémentaire sur la façon dont les hommes sont gouvernés, souvent à leur détriment mais – il faut le souligner – sans pour autant regretter les entraves à leur droits naturels le jour où elles s'évanouissent.

L'idée de liberté est-elle à ce point scandaleuse ? Oui, nous dit JDMC : mais pas exclusivement pour les tyrans, également pour le commun des mortels. Là est la force des dictatures. Et le malheur des hommes.


Alain Chotil-Fani, septembre 2014


(1) Odradek Ediciones, Valparaiso

dimanche 27 avril 2014

L'homme du Titanic

L'homme du Titanic


Jour qui avec horreur parmi les jours se compte,
Qui se marque de rouge et rougit de sa honte.

Agrippa d'Aubigné, les Tragiques


File:RMS Titanic 1.jpg
(DR)

- Pourquoi pousser si loin, Lieutenant ? Il n'y a plus rien qui vive de ce côté.

Le Titanic avait coulé au milieu de la nuit. Dès la nouvelle connue, le RMS Carpathia s'était lancé dans une course folle. Mais un océan hérissé de glace le séparait de l'endroit du drame. Quand le navire arriva, il porta secours à quelques centaines de naufragés. Quelques centaines seulement. Une misère.

Le lieutenant Weiss, debout à la proue d'un canot de sauvetage, scrutait les flots. Il savait que ses matelots voulaient abandonner les recherches. La voix dans son dos se fit insistante.

- Lieutenant, sans vouloir vous offenser, retournons au Carpathia et occupons-nous des rescapés déjà embarqués. Aucun être humain n'aura pu tenir aussi longtemps dans ces conditions. Il est trop tard. Voyez : le jour ne tardera plus.

En effet, l'aube pâle du 15 avril 1912 donnait déjà au ciel de l'Atlantique nord des nuances irisées. Bientôt les rayons du soleil allaient révéler une mer recouverte de débris et de cadavres.

- Encore un instant, messieurs, dit Weiss. Je suis certain d'avoir entendu crier. Il y a encore quelqu'un. Nous devons l'aider.

Sauver encore une vie. Le jeune officier se rappela soudain une phrase qui l'avait accompagnée pendant son enfance à Brooklyn :

« Qui sauve une seule vie, sauve le monde entier ».

Longtemps Weiss n'avait vu dans ce mot qu'une vague rhétorique humanitaire, fondée sur des principes bien-pensants et somme toute inoffensifs. C'était bien là une des innombrables manies de son père, juif progressiste cependant et adepte de la réparation du monde ; combien de fois l'avait-il assommé avec ses allusions au Congrès de Pittsburgh et l'impérieuse nécessité d'associer foi et sens de l'histoire.

Le jeune Weiss de Brooklyn se moquait bien de tout cela. Sauver le monde ! A-t-on jamais proféré principe plus pompeux ? Bien malin, celui qui aurait pu dire la différence entre foi et croyance du progrès. Est-il besoin de croire pour aller secourir l'être en péril ? N'est-ce pas la moindre des choses en pays civilisé ?

Il avait eu tort. Weiss s'en rendait compte avec une amertume brutale alors qu'il guettait en vain un signe de vie parmi les décombres. Sa propre légèreté le dégoûtait. Personne ne pouvait sauver le monde, mais lui avait le pouvoir, à son échelle misérable, de réparer un détail minuscule et essentiel du chaos laissé par l'épave : arracher au néant une âme en train de périr dans une agonie glacée. Oui, sa mission était réparer le monde à portée de mains. Rendre l'injustice un peu moins scandaleuse.

Mais ses hommes renâclaient à la tâche. Ils estimaient avoir fait leur devoir, souffraient de fatigue et de froid, voulaient rejoindre leur cabine douillette. Lui demeurait possédé par son obsession. Un pauvre type mourrait dans une noirceur de givre s'il ne faisait rien. Les milliers de trépassés du Titanic avaient payé un tribut bien assez lourd à l'univers. Tout son être était tendu dans un seul but : soutirer à la camarde l'un de ses semblables.

um Gottes willen ! gémit une voix toute proche.

Weiss fit arrêter les rameurs ; il avait vu juste. Quelqu'un appelait à l'aide. La lanterne du canot peinait à éclairer une scène baignée par la lumière diffuse du crépuscule matinal.

- Hello ! Hello ! Où êtes-vous ?
- Mein Gott. Ich habe keine Kraft mehr.

La voix venait de tribord avant. Le canot se remit en marche lente. Weiss s'empara d'une gaffe et entreprit de balayer doucement l'eau devant la proue. Il cria quand la gaffe accrocha quelque chose.

- Là ! Au ras des vagues !

La lanterne accrocha un objet solide et plat, dont la forme passait inaperçue dans la houle ; une pièce de bois lourd, sans doute, à laquelle le naufragé devait s'être agrippé.

- Je le vois !

Weiss aperçut un poing résolument serré à une saillie de l'objet flottant, puis devina le bras et la tête d'un homme. Le reste du corps était immergé. Un matelot s'exclama :

- Ce gars-là doit posséder une volonté de tous les diables pour s'agripper de la sorte.

L'homme pourtant malingre donnait en effet l'apparence d'une détermination de fer. Il en fallait pour être resté ainsi accroché à cette bouée de fortune, le corps étreint par une eau glaciale et le poing fermé en un dérisoire geste d'espérance.

Weiss tenta d'attirer la pièce de bois avec la gaffe. Le naufragé ne parlait plus.

- Hello ! Nous allons vous sauver. Courage, monsieur !

Aucune réponse. Quelqu'un dans l'équipage murmura :

- Trop tard. Sa main reste fermée à cause de la rigidité cadavérique.

Le mot exaspéra Weiss. Il lui fallait aller au bout de son ouvrage, rendre le monde meilleur.

- J'y vais.

Weiss s'empara d'une bouée et entra dans l'eau. Il sentit l'atroce étreinte du froid enserrer son corps. Vite, saisir l'homme !

Ne meurs pas, pas encore...

En trois brasses Weiss rejoignit la pièce de bois. Il vit alors l'Européen lâcher prise et glisser dans l'onde. L'officier plongea. Ses doigts gourds effleurèrent un vêtement, empoignèrent une pièce de tissu pour ne plus la lâcher.

- Sortez-moi de là ! Je le tiens !

Des bras vigoureux le hissèrent. Les matelots attrapèrent un lourd manteau et son contenu inerte. La masse détrempée tomba d'un bloc sur le sol du canot. Weiss se précipita sur le naufragé.

L'homme gisait immobile. Il ne devait pas avoir plus de 25 ans. Il était de taille moyenne, de constitution plutôt faible. Son habillement trahissait des origines populaires d'Europe centrale. Une moustache en brosse barrait sa face bleuie. L'ensemble de ses sourcils formait un arc de cercle, lui donnant la physionomie d'un être triste. De l'eau s'écoulait en abondance de sa veste capitonnée.

On l'enveloppa de couvertures épaisses. Le corps misérable fut frictionné.

- Du rhum ! cria Weiss.

Le liquide fut glissé de force dans la gorge du noyé. Ses lèvres esquissèrent un mouvement ténu ; l'homme se mit à trembler, murmura « Gott ». Puis en un spasme subit sa bouche vomit un torrent d'eau sale.

Il vivrait.


*
**


- On a eu du mal à vous avoir, dit Weiss.

- Je sais, répondit le rescapé. On m'a tout raconté. Satanée histoire, hein.

Weiss ne put s'empêcher de sourire en lui-même. L'homme qu'il avait sorti des griffes de la mort était maintenant au sec à bord du Carpathia, bien vivant auprès d'un poêle surchauffé. Quelques heures de soins et de repos paraissaient l'avoir déjà remis de la tragédie. Il s'exprimait naturellement et sans trace d'aucun traumatisme. Les matelots avaient raison : il devait posséder une sacrée volonté.

- Ainsi vous avez survécu accroché à ce bout de bois ?

- Oh, pas vraiment. Je m'étais installé sur ce débris en attendant les secours. Mais à un moment donné, j'ai dû m'assoupir et j'ai glissé dans l'eau. Heureusement j'ai pu m'accrocher tant bien que mal et j'ai survécu.

- Vous n'avez donc jamais perdu espoir ?

- Cela va vous sembler curieux, mais j'ai toujours eu l'impression que quelqu'un veillait sur moi. J'ai la conviction intime que j'ai de grandes choses à accomplir dans cette vie. Prenez-moi pour un allumé si vous voulez. Mais cette mésaventure m'a conforté dans cette certitude. Ce n'était pas mon heure.

« Il est décidément très volontaire, ce petit homme au poing serré », pensa Weiss. Un détail blessait son amour-propre : l'autre ne l'avait pas remercié. Il mettait sa survie sur le compte d'une intervention divine, alors que seule l'abnégation de quelques hommes et surtout sa propre mise en péril lui avait évité le trépas. Sans lui, le passager du Titanic flotterait en eau trouble parmi des milliers d'autres macchabées picorés par le krill. Le marin s'attendait à des pleurs de joie, une accolade, une poignée de main, n'importe quel geste de gratitude qui aurait acté le plus indéfectible des liens : celui entre le sauveur et le sauvé.

Aussitôt Weiss eut honte de son égoïsme. Fallait-il vraiment qu'il place sa vanité plus haut que l'essentiel ? On ne secourt pas les hommes pour ce qu'il font mais pour ce qu'ils sont. Un être humain est unique, irremplaçable, car précisément c'est un être humain, doué de conscience, de raison et de droits naturels. C'est une question de principe, pas d'individus. Et il savait que certaines personnes, par leur origine sociale ou leur éducation, sont obstinément rétives à toute forme de remerciement. Pour elles, exprimer leur reconnaissance est un insupportable aveu de faiblesse. Devait-il se montrer grossier en essayant d'extorquer un pénible « merci » des lèvres de l'autre ?

Non, ce serait gâcher toute l'histoire. Grâce à lui un homme vivrait, et cela seul comptait. La victoire était belle, pourquoi ternir ce souvenir pour de futiles questions de convenances sociales ? Le fait était certes déplaisant, mais après tout était-il comptable de l'éducation – ou du manque d'éducation – que l'Européen avait reçue ? Il avait fait son devoir d'honnête homme et cela seul avait de l'importance.

- J'ai pris une décision, continuait le rescapé : c'était une erreur de vouloir rejoindre l'Amérique ; ma place est chez moi, à Vienne. J'ai décidé d'affronter la réalité de ma vie misérable plutôt que de me réfugier dans des faux-semblants. L'exil en Amérique était pire qu'une fuite : une preuve de lâcheté. Cet accident est un signe. Je dois revenir chez moi et me battre là-bas. On doit épouser la cause de son pays, justement pour le sortir de la déliquescence et de la corruption. Et Dieu sait s'il y a du travail ! Mon pays est vieux, faible, incapable de défendre sa propre nation. Les gens en ont assez du scandale des injustices. Il faut un grand coup de balai pour rendre au peuple sa souveraineté. J'emploierai toute mon énergie à construire un monde meilleur.

Weiss devint songeur. Il réfléchit un court instant.

- Nous allons justement croiser la route du SS Walhalla qui rejoint Brême. Si cela vous intéresse, je m'arrange pour vous faire transborder sur ce navire. Avant une semaine vous serez chez vous.

Un incroyable sourire éclaira la face de l'Austro-Hongrois.

- Eh bien ! Je serai rentré pour mon anniversaire. Tel est mon destin. Es ist der Wille Gottes !

- Dans ce cas je vais m'occuper du transfert. Et je vous souhaite donc bon voyage et longue vie, monsieur...

Weiss se rendit compte qu'il ne connaissait pas le nom de l'homme qu'il avait sauvé. Il jeta un œil sur le passeport en train de sécher grand ouvert sur la table.

- … et longue vie, monsieur Hitler.

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Alain Chotil-Fani, avril 2014 (en souvenir de Dino Buzzati)

samedi 9 novembre 2013

Gravity : les zozos de l'espace

Sandra Bullock fait psshht pshht dans l'espace et joue à saute-moutons entre les stations spatiales. George "what else" Clooney fait trois vannes et disparaît. C'est bien les hommes, ça.

Caméra virtuose, lit-on un peu partout. C'est bien le problème. De la virtuosité à défaut de talent. Le vrai cinéaste ne montre pas, il suggère. Et le problème de Gravity est qu'il montre tout. Le gros plan d'une tête coupée en deux, merci pour la classification "grand public" au passage. Une pluie de débris spatiaux chuinte crescendo comme l'attaque d'un Pokémon. Est-ce cela, l'exactitude scientifique tant célébrée ? Une station chinoise gronde même dans le vide, comme la clim' du Bambou Impérial, le restau au coin de la rue (formule Buffet Bonheur à 9 euros 50).


Suspens inouï, a-t-on dit. "Inouï" n'est sans doute pas le mot tant ce film prétend nous surprendre à coups de décibels. Souligner l'action en faisant passer la bande son de 10 à 100 décibels en une milliseconde est précisément ce que l'on ne fait pas quand on maîtrise l'art du suspens. Le procédé est non seulement éculé, il est malhonnête. La vraie angoisse est un sentiment de l'intime. N'importe quel gamin de 5 ans sait faire sursauter son monde en tournant le bouton de l'ampli de Papa. Mais si l'on peut baffer le morveux, on regrettera de ne pas pouvoir se rendre sur le champ à Los Angeles pour engueuler les frères Cuaron.

Quand Alfonso Cuaron ne joue pas avec le potentiomètre, il a l'idée géniale de nous faire subir un sombre magma sonore pompé sans doute sur Qui veut gagner des millions, quand l'invité se délite sous le regard de Jean-Pierre.

Mais ce n'est pas son dernier mot. Pour les scènes sans action - il y en a, notamment quand Sandra Bullock (qu'est devenue sa verve de Demolition Man ?) médite sur sa fin prochaine - Alfonso (je suis sûr qu'il ne m'en voudra pas de l'appeler par son petit nom) a déniché une petite mélopée intimiste qui n'est pas sans rappeler Caramelli et ses violons gluants - à moins que ce soit la bande son de Intouchables, cette autre prestigieuse catastrophe industrielle du 7e art.

Gravity est donc dans tous les sens du terme un film du vide. L'hommage à Kubrick, quand l'héroïne reprend son souffle en position fœtale, laisse songeur : "J'ai cru voir glisser sur une fleur une longue limace" aurait pu soupirer Cyrano depuis un Empire de la Lune.

Pourtant les scènes où Sandra Bullock découvre les stations spatiales désertées auraient pu donner un autre sens à ce pensum galactique. L'incroyable bordel des lieux abandonnés, les saletés de machines qui s'emballent et qu'il faut rappeler à la raison par une taloche, la faillite technologique qui s'installe alors que sombre sans rémission l'illusion d'un progrès irréfragable - voilà qui aurait pu donner une toute autre dimension à cette guirlande de poncifs survitaminés.

Mais voilà, Alfonso n'a pas pensé explorer ce filon fertile et ce virtuose de la chose filmée a accouché d'un machin tape-à-l'oeil et désespérément creux.

Où allons-nous si même l'espace respire le kitsch ? En tout cas, certainement pas au cinéma.

dimanche 27 octobre 2013

La fresque du Pont National

Les grandes découvertes, dit-on, sont parfois le fruit de l'imprévu. J'eus l'occasion d'en faire l'expérience en empruntant le Pont National pour tenter d'échapper aux bouchons du périphérique parisien. A l'horizon surgit alors une peinture gigantesque, occupant toute la façade d'un immeuble. M'approchant de la chose je pus contempler une étrange et intimidante figure : le portrait démesuré d'un homme à la coiffure carrée et vêtu d'un costume impeccable. Son fin sourire soulignait une petite moustache.

Une publicité, mais pour quel annonceur ? Non, cela devait être autre chose. Mais alors quoi ?

Le regard bienveillant de l'homme ainsi représenté ne parvenait pas à dissiper le malaise provoqué par cette fresque aux dimensions staliniennes.

La fresque vue depuis la voiture

La petite moustache surtout intriguait. Pour quelle raison avait-on jugé bon de peindre sur un mur parisien un symbole si détestable, dans une ville qui ne cesse de rappeler les horreurs de l'Occupation ?

Pareille question ne pouvait demeurer sans réponse. Je revins sur le Pont National pour mieux examiner la fresque. Je découvris qu'elle surmontait une légende. Mon espoir d'en savoir plus fut vain : elle était rédigée en caractères arabes. Le mystère demeurait entier.

Les énigmes nous travaillent à notre insu. La question sans réponse de la fresque du Pont National, logée quelque part dans mon esprit, appelait une explication cohérente qui échappait à toute tentative d'élucidation.

Et un jour je compris. La phrase en arabe, bien qu'indéchiffrable, était la clef du mystère. L'homme à la moustache carrée représentait la force brute des dictatures musulmanes. En pleine effervescence des pays du Maghreb et du Proche-Orient, le portrait soulignait avec finesse la filiation idéologique de certains despotes locaux avec les deux plus grands totalitarismes du XXe siècle. Le symbole évoquait le grand mufti de Jérusalem, Mohammed Amin al-Husseini, allié historique d'Adolf Hitler. D'autres auraient pu songer à Hafez el-Assad qui recueillit  Alois Brunner, ou à un Saddam Hussein idéologiquement proche des soviétiques. L'allégorie dénonçait les liens du terrorisme palestinien avec Ceausescu et Tito ; le succès des rééditions de Mein Kampf en Turquie et dans plusieurs pays arabes ; la Charte du Hamas avec sa référence au Protocole des Sages de Sion.

Le visage protecteur du Big Brother n'était qu'ironie et appel à l'insoumission. La petite moustache prenait alors tout son sens. Et je me félicitais alors de la clairvoyance des promoteurs de la fresque, qui tranchait heureusement avec les initiatives bobos et consensuelles auxquelles la Mairie de Paris nous a tant accoutumés. Enfin du mordant, du parti-pris, et un soutien sans équivoque aux défenseurs de la liberté assorti d'une référence pertinente à l'histoire contemporaine. N'est-ce pas le moins que l'on puisse attendre de Paris, phare de la liberté universelle ?

Mais j'avais tort. La vérité était tout autre, bien plus simple et prosaïque.

Bien des jours plus tard je tombais par le plus grand des hasards sur un article expliquant l'affaire. Le visage, contre toute attente, est bien réel. C'est celui du Tunisien Farhat Hached, syndicaliste et personnalité politique assassiné en 1952. La peinture a été réalisée par l'artiste DaBro. Seul mon esprit tortueux a voulu y déceler une intention ironique.

place-farhat-hached-paris
Image tirée du site http://www.tekiano.com/ness/politik/7429-mardi-30-avril-inauguration-de-la-place-farhat-hached-a-paris-.html

Certes, l'initiative relève d'un soutien affirmé aux démocrates de tous horizons, en Tunisie et au-delà, ce en quoi je n'étais pas entièrement dans le faux. Mais pourquoi diable a-t-on pour cela tenu à reproduire un style de propagande si détestable, que l'on aurait cru disparu à tout jamais de notre continent ?

Et je m'interroge : faudra-t-il attendre encore six décennies avant d'affirmer l'intolérable qui se déroule en ce moment même dans le monde arabo-musulman ? Soutenir la liberté soixante ans après les faits, la belle affaire. C'est aujourd'hui que la Syrie agonise. Ce pays mérite mille Guernica sur mille façades parisiennes.

Quand tous les pays de cette région crient chaque jour leur douleur, l'on voudrait tant que nos représentants s'engagent sans ambiguïté au côté de ceux qui là-bas luttent pour les droits fondamentaux : le droit à une vie privée dont nul ne saurait contester les orientations souveraines ; à l'éducation, des femmes en particulier ; à la liberté d'expression - ce qui inclut naturellement la possibilité légale de critiquer les religions.

L'on rêve d'un salon du livre, à Casablanca ou au Caire, où Swift, Voltaire et Salman Rushdie seraient mis à l'honneur.

Mais ce n'est qu'un rêve. Aucun nom d'homme politique ne s'impose à notre esprit quand nous évoquons cette perspective. Nous le constatons, hélas, avec un indicible effroi.


samedi 20 juillet 2013

Différents trains (Noces de neige)

A propos de "Noces de neige", dernier roman de Gaëlle Josse (Editions Autrement, Paris, 2013). Attention, ce commentaire dévoile certains aspects-clefs du récit.

Différents trains




L'homme joue-t-il à son insu un rôle déjà écrit ? Feint-il de croire en sa liberté tout en étant le jouet de forces qui le dépassent ?

"Les événements racinent profond en nous, c'est tout un réseau souterrain qui se développe avec le temps. Notre existence est façonnée par ce que nous avons vécu, par les événements qui nous ont portés, construits ou défaits à jamais. Un fait qui paraît anodin peut se répercuter à l'infini, comme les ondes concentriques se propagent à la surface bien après que la pierre jetée dans le lac a disparu" (p. 148).

Ainsi s'exprime, non sans maladresse, Philippe Barberi dans le dernier chapitre du livre. Ce personnage a décidé de faire venir de Moscou Irina, une jeune Russe, en se faisant passer pour un jeune homme bien comme il faut. Un mensonge. Mais ce chapitre nous apprend que sa conduite n'est pas liée à un besoin malsain de tromper, ni à des entreprises interlopes. Non, Philippe Barberi ne dirige pas un réseau de prostitution et n'est pas lié à la pègre. En vérité, il a peur des femmes et ne peut avancer qu'à visage masqué. En nouant contact sur internet, bien protégé par sa carapace numérique, il s'est fabriqué un avatar à la mesure de son désir de séduire ; Enzo est jeune, sportif, travailleur, beau. Le stratagème a fonctionné. Irina emprunte le train qui la déposera après plusieurs jours de trajet dans la ville de Nice. Là, Philippe espère se dévoiler petit à petit et peut-être substituer son image à celle du virtuel Enzo auprès de sa nouvelle compagne.

Cet homme que l'on devine avancé en âge se dit conscient d'un traumatisme originel qui lui rend si difficile le contact avec les femmes. L'histoire de son arrière-arrière-grand-tante Mathilde, défigurée par une rivale et morte vieille fille, l'obsède. Ce drame hante toute son existence, depuis l'enfance, car "on demeure plus ou moins l'enfant que l'on fut, il me semble." (p. 147)

Barberi se déclare donc névrosé, étant incapable de surmonter les traumatismes de la petite enfance, eux-mêmes symptômes d'une névrose familiale. Ce n'est pas tout : il est pleinement conscient de cette maladie mentale et de son origine. Dès lors, le papa-gâteau en manque affectif, qui se décrit avec une certaine complaisance dans ces dernières pages, suscite chez le lecteur un effroi indéfinissable. La raison sans doute aux arguments présentés pour justifier son comportement, mais qui pourraient tout aussi bien justifier les pires actions. Se définissant comme le jouet de forces immémoriales - le traumatisme de Mathilde remonte à 1881, quand le récit de Barberi date de 2012 - le narrateur inscrit son comportement dans un destin qu'il s'imagine déterminé par un trauma.

Or avoir foi en un avenir déterminé par le poids du passé, par le "sens de l'histoire" ou tout autre idéologie procède d'une approche si réductrice qu'elle annonce souvent les pires catastrophes. Un destin déjà tracé réclame des prophètes et des martyrs pour parfaire son accomplissement. Et l'homme démuni de son libre-arbitre est une bête : à la fois conscient de son état humain et de l'immunité que lui confère sa bestialité. L'instinct est le destin et le destin se justifie par la nature même des choses. Chez Zola, la Bête humaine se termine par l'épouvantable course à l'abime d'un convoi ferroviaire lancé à pleine puissance sous la pulsion mortifère de Jacques Lantier.

Irina sauvée ? Sans doute. La rencontre avec le "bel Enzo" transformé comme dans un épouvantable cauchemar en vieux et névrosé Philippe était fondée sur un mensonge si grand qu'elle courait à l'échec. Éprise pendant le voyage du très méthodique Sergueï elle ne saura rien du jeune homme qui était censé l'attendre à Nice, ni de l'artifice de leur relation numérique.

Sergueï, reponsable et animateur du long trajet entre la Russie et Nice, séduit et étonne. Qu'y a-t-il du cliché russe en lui ? Il ne boit pas, n'est pas paresseux, fait preuve de patience et d'ouverture d'esprit. Dans le roman de Gontcharov, il serait bien plus proche du mi-Allemand Stolz que du lymphatique et exaspérant Oblomov, ce personnage emblématique vautré sur un sofa en attendant que le monde vienne à lui pour l'entretenir d'affaires qui l'ennuient.

Le nouveau couple - bien réel, mais si désincarné - se forge en échappant aux conventions étouffantes du chemin de fer, avec ses rites, ses fêtes obligées, ses hommes chargés de la surveillance, son itinéraire minuté et ses étapes incontournables. Le rail est le mode de transport le moins libre qui soit ; il faut bien tromper par le divertissement et l'étiquette tout un monde bel et bien captif. Les passagers, pris en charge pour le moindre aspect de leur séjour ferroviaire, sont infantilisés dans le confinement d'un espace clos. Dans le roman de Gaëlle Josse, deux d'entre eux en viennent aux mains pour des peccadilles quelques heures avant l'arrivée (voyage de 2012) alors qu'en 1881 Anna Alexandrovna laissait libre cours à sa barbarie. Car Mathilde, l'ancêtre de Barberi, a été défigurée par la jeune Anna Alexandrovna dans le train qui ramenait la grande famille russe à Saint-Pétersbourg. A l'issue du voyage, les voyageurs apprendront aussi l'assassinat d'Alexandre II. La sauvagerie de l'attentat anarchiste envers un tsar certes brutal mais également réformiste - on lui doit l'abolition du servage - préludait déjà aux insupportables années de terreur que devait bientôt endurer la Russie. Leur effet est encore visible au 3e millénaire. En liant la violence des deux événements (l'agression contre Mathilde et l'assassinat du tsar) l'auteur du roman pose, comme nous l'avons évoqué, les conséquences d'actes bien au-delà de leur contexte, et évoque implicitement leur tendance à persévérer dans l'être. Mais il y a plus. Le geste de l'adolescente souligne le portrait d'une société en déliquescence, pétrie de tromperies et de faux-semblants et que l'argent et le progrès technique ne rendent pas meilleure. Ce paradoxe de la modernité ne s'est certes pas éteint avec l'extinction des "hivernants" russes en Côte d'Azur.

La nouvelle de Gaëlle Josse, en donnant la parole à Anna Alexandrovna un chapitre sur deux, croise habilement les histoires de l'adolescente fin de siècle et d'Irina, en deux récits-miroirs qui marqueront à jamais l'avenir des protagonistes. La prison du remords pour Anna répond au fol espoir d'une liberté improvisée pour Irina. Seule l'introspection de Barberi permettra de lier les deux récits au-delà des faits de voyage.

Un livre assez court, ce qui est salutaire, et très habilement conçu. Dommage que le style si uniforme semble refuser toute mise en contexte. Est-ce à dessein ? Les passages écrits et parlés se présentent d'une façon identique, avec leurs énumérations un peu agaçantes. Anna Alexandrovna ne s'exprime pas comme une adolescente russe des années 1880, quand les personnages de Dostoïevski s'embrassaient en pleurant à tout bout de champ, mais plutôt comme une jeune fille actuelle. Plus étonnant encore peut-être est l'anachronisme de ce récit où la prétention historique n'est pas absente, qui donne à entendre la Valse de l'Empereur quelques années avant sa composition (1889). Mais pourquoi la noblesse russe aurait-elle autant apprécié une partition écrite en honneur de François-Joseph et de Guillaume II d'Allemagne, quand le baron Von Derwies célébrait à Nice même tout ce que la musique slave avait de meilleur, grâce à son célèbre orchestre symphonique privé ? Les soirées de Valrose étaient alors courues par toute la noblesse russe réfugiée en Côte d'Azur.

Ces quelques petits défauts documentaires ou omissions historiques auraient pu être évités avec une bibliographie plus solide, ce qui ne retire rien à la sincère et appréciable habileté avec laquelle ce récit nous est offert.

Alain Chotil-Fani, juillet 2013

mardi 9 avril 2013

Kim Jong-Un, et après ? Scénarios pour demain

En ce moment, les nombreux commentaires sur l’effervescence militariste de la Corée du Nord se terminent toujours par des considérations rassurantes. Kim Jong-Un ? Un pitre. Les bruits de bottes ? De la poudre aux yeux. Une guerre ? La Corée du Nord n’en possède pas les moyens. Bref : un conflit n’est pas pour demain. 

Tout optimiste qu’elle soit, cette conclusion laisse un goût amer. En Corée du Nord, faut-il le rappeler, des millions d’hommes sont soumis à un régime terrifiant. Penser que la posture actuelle de ce pays n’entraînera rien de sérieux est un scandale. Car le statu quo est en soi une perspective cauchemardesque : un peuple entier restera asservi dans des redoutables conditions.

Dès lors nul démocrate ne saurait se satisfaire d’un retour à la paix froide. Aussi est-il assez étrange de constater l'absence de tout commentaire sur une hypothétique mais vraisemblable chute de la République populaire démocratique de Corée. Pourtant l’histoire récente nous prouve que les dictatures communistes, comme toutes les autres, sont mortelles.

Voici donc quatre scénarios sur la possible fin de Kim Jong-Un.

Premier scénario : la Révolution de Soie

Sous son assurance d’apparat, le régime se sait condamné. L’économie nationale est exsangue, l’industrie périclite, des famines démesurées s’annoncent, une guerre signerait la fin de tout avenir.

Les autorités gouvernementales choisissent de déposer Kim Jong-Un et entreprennent une timide libéralisation du pays. Les effets sont immédiats : les points de passage vers le voisin du sud sont pris d’assaut. L’armée, décontenancée, renonce à faire usage de la force et finit par ouvrir la frontière.  Un gigantesque vent d’espérance souffle sur le pays. Chaque soir, des foules immenses envahissent pacifiquement les villes, réclamant la liberté. Le gouvernement est débordé : l’état communiste s’effondre définitivement.

Les goulags et prisons politiques sont ouverts. Les journalistes occidentaux affluent en masse et rapportent des témoignages hallucinants sur les tortures, les privations, les modes de rééducation des récalcitrants. L’on découvre une mortalité infantile effroyable. Les asiles de véritables mouroirs.

Les programmes guerriers et les liens avec diverses formes de terrorisme à travers le monde sont révélés. Ce pays à l’agonie et dévasté par l’idéologie possédait pourtant un pouvoir de nuisance considérable.

En France, Jean-Luc Mélenchon, piqué au vif par les remarques de Jean-Michel Apathie sur RTL, martèle que « le régime Nord-Coréen n’avait rien à voir, ni de près, ni de loin avec l’idéal communiste, dont il était une monstrueuse perversion ».

Les anciens apparatchiks tentent de négocier leur impunité en échange du renoncement à la répression. Ils finiront par être jugés lors de procès retentissants. Kim Jong-Un lui-même sera condamné à la prison à vie.

Corées du Sud et du Nord sont enfin réunifiées. Mais le coût de la reconstruction est tel que l’économie sud-coréenne est à la peine et devra chercher des financements au Japon, en Chine et aux Etats-unis. Les ex-ressortissants du Nord sont indéfectiblement marqués par leur existence passée. Certains experts estiment que seul un renouvellement de la population permettra à la longue d’envisager une véritable réunification dans les esprits.

Le Nord gagne la liberté et découvre les conséquences de cette liberté : tout devient à construire là où auparavant l’Etat encadrait le moindre aspect de l'existence. Dans cette attente, la misère existe toujours, le chômage explose, le coût de l’aide sociale pose un problème de premier ordre au nouveau gouvernement. Des partis extrémistes apparaissent, réclamant un rappel aux responsabilités du « Bien-Aimé Kim ».

Deuxième scénario : la Révolution de palais

Au cours d’un déplacement officiel de routine, Kim Jong-Un et son épouse Ri Sol-Ju entendent des cris de haine venus de la foule. Des caméras filment la réaction incrédule du dirigeant. Ces images seront vues et commentées par le monde entier.

Les plus proches conseillers du dignitaire l’encouragent à se protéger de cette poignée de provocateurs impérialistes. Le couple présidentiel est aussitôt exfiltré vers un lieu sûr.

L’on apprendra plus tard le décès brutal de Kim Jong-Un et de sa femme. Les circonstances ne sont pas claires : certains évoquent un banal accident de la route alors que la rumeur populaire accrédite plutôt l'hypothèse d'une embuscade de partisans. La photo des corps est rapidement rendue publique et diffusée à grande échelle.

L’Assemblée Populaire Suprême proclame la fin de la dictature. Le peuple nord-coréen fête sa libération alors que des violences éclatent un peu partout dans le pays. Des factions de l’armée s’opposent au nouveau régime et cherchent à installer un successeur dans la lignée du défunt dirigeant. Dans plusieurs villes, des militaires tirent sur la foule. Les morts se comptent par centaines. Des rumeurs prétendent que des activistes d’Al-Quaïda perpétuent la terreur en menant une guérilla secrète et cruelle.

Face au risque de "restauration", un gouvernement d’union nationale prend les rênes du pays. Il s’engage dans la voie d'une pacification générale afin d’assurer une transition vers un régime à l’économie de marché. Le terrorisme cesse, divisant les observateurs sur sa nature véritable.

La communauté internationale appuie ce gouvernement transitoire en dépit de certaines réserves. Les ONG déplorent des atteintes aux droits de l’homme : milices plus ou moins officielles, justice inféodée aux politiques, élections truquées. Les démocraties parient cependant sur l’avenir d’un pays en voie de libéralisation. En dépit de ses défauts, il se façonne un destin qui rendra possible une future réunification. De généreux programmes d’aide sont votés par la communauté internationale.

L’ouverture au marché engendre l’apparition d’une classe de milliardaires privés : hommes d’affaires, journalistes, industriels se partagent des sommes gigantesques. Certains nouveaux riches achètent hélicoptères et Bentleys. Une mafia coréenne fait son apparition, étroitement liée aux structures du pouvoir. Le pays devient une vaste zone de non droit. Parmi les plus grands décideurs du pays l’on retrouve des anciens apparatchiks du temps de Kim Jong-Un, officiellement reconvertis.

De grands hôtels low-cost poussent comme des champignons. Le pays se couvre de casinos. L’industrie du tourisme sexuel et de la drogue devient florissante. Eva Joly regrette sur Twitter que ce pays ait « troqué le despotisme contre la dictature du billet vert ».

La Corée du Sud protège ses frontières contre cet état corrompu. L’idée même d’une réunification devient absurde.

Troisième scénario : guerre civile et russification

Un mouvement de rébellion armée s’empare de plusieurs portions du territoire. Kim Jong-Un répond par la force en donnant l’ordre à ses militaires d’écraser ces « révoltés de carnaval ».

Les rebelles sont d’origine diverse : déserteurs de l’armée régulière et civils partisans sont semble-t-il appuyés par une aide logistique étrangère. Ce mouvement se définit comme « nouvelle UNPIK » (United Nations Partisans Infantry Korea), en référence à l'unité de combattants anti-communistes pendant la guerre de Corée.

Une longue guerre civile s’empare du pays. Chaque camp accuse l’autre de massacres, sans que la victoire ne se dessine. La propagande officielle annonce prendre des avantages majeurs sur les insurgés qui répliquent à leur tour en propageant sur les réseaux sociaux des photos commentées de leurs opérations de résistance.

La communauté internationale se réfugie dans l’attentisme, par peur des représailles d’un pouvoir toujours muni de la force atomique parmi, dit-on, d’autres armes de destruction massive.

Bernard-Henri Lévy fustige dans un éditorial du Point la passivité et l’égoïsme des pays libres face au drame nord-coréen. Bernard Guetta, sur France Inter, lui répond indirectement que « si implication étrangère il devait y avoir, ce serait d’abord pour aider la Syrie à faire tomber Bachar [El Assad] ».

Sans porter des coups décisifs, la rébellion affaiblit suffisamment le pouvoir pour soustraire à son autorité plusieurs provinces. Le sort bascule quand, à la surprise générale, les forces armées russes pénètrent en Corée par la minuscule frontière nord, large de moins de 20 kilomètres.

L’intervention russe « pour raisons humanitaires » a été décidée au « nom du droit d’ingérence ». Elle est efficacement soutenue par les forces partisanes. L’armée de Kim Jong-Un s’effondre et le siège de Pyonyang n’est qu’une formalité. Les « Spetsnaz », Forces Spéciales russes, sont accueillies en libératrices dans la capitale. Le palais présidentiel est pris d’assaut. Là seront découverts les corps de Kim Jong-Un et de Ri Sol-Ju. Une autopsie ordonnée par les libérateurs ne pourra pas infirmer ou confirmer la thèse du suicide.

Lors d’un voyage dans la « Corée libérée » maintenant sous la férule d’un de ses protégés, Vladimir Poutine suscite une vaste controverse en évoquant le « regard de la Russie éternelle tourné vers Port-Arthur », en référence au conflit russo-japonais de 1904-1905.

Quatrième scénario : US high-tech

Une escadrille de drones américains surprend Pyongyang à l’aube et détruit en quelques minutes tous les palais et monuments de la capitale. Kim Jong-Un tente de répliquer par la force mais les rares sites militaires encore intacts sont rendus impuissants par l’usage d’armes à impulsions électromagnétiques (IEM).

Ce qui reste de l’aviation militaire nord-coréenne se réfugie en Chine, alors que l’infanterie lève les bras pour signaler sa reddition aux drones qui sillonnent le ciel.

Kim Jong-Un fuit à l’étranger. Un gouvernement de salut provisoire est mis en œuvre sous l’égide des USA, avec pour mission d’entreprendre la réunification avec le Sud.

Plusieurs pays protestent officiellement contre « l’aventure néo-coloniale d’Obama » : Chine, Russie et Venezuela renvoient leur ambassadeur américain. La France de François Hollande ne condamne pas mais « regrette » que l’intervention ait été décidée « unilatéralement » sans caution du Conseil de Sécurité de l’ONU. La Corée du Sud « prend acte avec joie » de la libération de ses frères du Nord et met en place un agenda des discussions avec les représentants de l’autre Corée.

L’opinion publique occidentale est partagée entre le soulagement d’un dénouement somme toute anodin – l’arme nucléaire tant redoutée a fait long feu – et les critiques de « l’option militaire » des Etats-unis. Plusieurs médias d’envergure nationale, dont la chaîne franco-allemande Arte, évoquent l’usage d’armes prohibées, dont les effets sur le populations civiles apparaîtront à moyen ou long terme. Certains activistes appellent de leurs vœux « un nouveau Bradley Manning » pour rendre publics les documents top secrets au sujet des « pratiques génocidaires états-uniennes ».

L’afflux de Nord Coréens à Séoul engendre des réactions de rejet. Une manifestation sur le thème « chacun son kimchi » (nom d’un plat typique) réunit plusieurs centaines de milliers de personnes. Un groupe de musique local provoque un buzz planétaire sur YouTube avec son clip « Reste derrière ton 38 », en allusion au 38e parallèle qui sépare toujours les deux Corées.