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dimanche 14 novembre 2021

Zemmour au fil des jours - 14 novembre 2021

 14/11/2021

Zemmour à Bordeaux. Nouvelles attaques contre les lourdeurs bureaucratiques et les impôts. Je serais le premier à applaudir si le discours était adossé à une vision libérale de la société, perspective qui me semble des plus éloignées, concernant Zemmour. Salle chauffée à blanc, qui ne se surprend même pas d'entendre l'homme citer Gustav Mahler. Logique, après tout, que ce compagnon errant dont le chant plaintif célèbre la terre et ses enfants morts exalte une résurrection.



Scandale (encore un !) autour d'une accusation portée à François Hollande, à la fois à Bordeaux et devant le Bataclan, le 13 novembre. Je cite LCI :

« Eric Zemmour a expliqué, samedi soir, que l'ancien chef de l'État "savait que des terroristes seraient infiltrés parmi les migrants" et qu'il "n’a pas arrêté le flot des migrants". "J'ai simplement dit ce qui est arrivé", a-t-il insisté. "Donc François Hollande ne l’ignorait pas, il n’a pas protégé les Français. Il a pris une décision absolument criminelle de laisser les frontières ouvertes", a ajouté le polémiste, évoquant une "guerre de civilisation" sur le sol français. »

LCI, toujours, rapporte la réponse de l'ancien président :

« "Les propos des extrêmes droites, et notamment les déclarations d'Eric Zemmour, sont à la fois infondées, indécentes et indignes", a répondu François Hollande dimanche matin sur Radio J. "Tous ceux qui sont dans le dévoiement, la dérive, l'hystérisation, la manipulation [...] doivent être mis de côté dans le pacte républicain."

"Les terroristes du 13 novembre sont venus de Belgique, ils sont Belges ou Français", a-t-il souligné, rappelant par ailleurs les mesures prises à l'époque pour "contrôler les arrivées extérieures" à l'Union européenne. "C'est indécent d'être devant le Bataclan, de parler de guerre de civilisation devant le bâtiment lui-même" en reprenant "le langage même des terroristes". Et c'est "indigne parce que ça laisse penser que ceux qui ont dirigé la France sont des criminels", a ajouté François Hollande. »

Réaction de Manuel Valls : « C’est faux, c’est ignoble, c’est inacceptable. Il ne s’agit pas seulement de s’indigner face à de tels propos mais de répliquer point par point aux mensonges distillés par ce personnage dont le seul but est de semer le doute et la haine. »

Raquel Garrido s'indigne que de tels propos « empêchent la réconciliation avec les terroristes. » Eric Naulleau lui répond : « Abjection, votre honneur... »

Chants de la nuit.

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jeudi 4 novembre 2021

Zemmour au fil des jours - 4 novembre 2021

 4/11/2021

Je tombe sur la dernière partie de l'émission Cnews avec Zemmour. Il s'agit d'un débat avec Denis Olivennes. Je ne connais pas ce monsieur qui me paraît avoir du répondant. À Zemmour : "le protectionnisme ce n'est pas courageux". Ça fait du bien d'entendre de telles choses. Oui, la stratégie protectionniste est non seulement lâche mais contre-productive. La réponse aux défis internationaux est une adaptation intelligente à la situation et non un repli artificiel, avec sa conséquence de maintenir sous perfusion des canards désormais boiteux. Le protectionnisme prépare le grand appauvrissement, avance joliment Olivennes.

Éric Zemmour invité de Christine Kelly sur CNews
Éric Zemmour invité de Christine Kelly sur CNews

J'ai déjà remarqué que face à ce genre d'arguments, Zemmour aime renvoyer son interlocuteur à ses supposées lubies, soit "idéologiques", soit "dogmatiques" (le pseudo-candidat, idéologue forcené, voit de l'idéologie partout, même parmi les gens qui récusent précisément toute approche idéologique). Ce soir, nous eûmes droit à "dogmatique". Le libre-échangisme, précise Zemmour, n'a pas que des avantages (en réponse à une affirmation que personne n'avait formulée). Avez-vous vu la souffrance des victimes du chômage de masse ? Ah tiens, voilà que Zemmour, si insensible au sort de foules se faisant massacrer par des tyrans, verse une larme sur les chômeurs.

Olivennes, décidément fort pertinent, met l'accent sur la hausse du niveau de vie permise par la mondialisation, et pointe (pas assez explicitement, le temps lui a manqué) le fait que les emplois "détruits" étaient à vrai dire "transformés", ce qui est la meilleure chose qui puisse arriver. Mimiques de Zemmour, gêné par l'argument qui heurte sa vision hantée par le spectre de Krasucki. Les derniers échanges laissent entrevoir un accord possible, mais rien n'est moins sûr, Zemmour part certainement de trop loin pour évoluer significativement vers une pensée libérale.

Je n'ai pas vu les autres parties de l'émission et ne saurais en parler. Je retiens simplement que Zemmour refuse toujours de dire à Christine Kelly s'il sera candidat, et paraît curieusement emprunté quand le sujet est abordé.

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mercredi 13 octobre 2021

Zemmour au fil des jours - 13 octobre 2021

13/10/2021

Zemmour à 17 ! Que dis-je, à 17, à 18 maintenant ! Qualifié pour le second tour dans tous les cas de figure ! Où cela s'arrêtera-t-il ? "Dès qu'il sera candidat", disent certain. "Il ne se présentera pas", annoncent d'autres. Ou encore : "ces sondages sont bidons, la manœuvre est trop grosse, si vous voyez ce que je veux dire."

Allez savoir. La quête de la juste prédiction convoque tous les Nostradamus du PAF. Dans l'attente, l'article de BHL continue de faire des vagues. Il y a de quoi. Je ne suis pas en désaccord sur tout, mais je formulerais cependant une nuance au sujet de la rhétorique "maurrassienne" : Maurras vomissait la démocratie, comme tout lecteur un peu sérieux peut s'en persuader. Zemmour, au contraire, voue un culte à la démocratie "du peuple, par le peuple, pour le peuple". C'est dès lors commettre un contresens que de parler d'un candidat "embrassant" la pensée de Maurras : il existe des aspects maurrassiens chez Zemmour, je l'ai déjà dit ici, comme la haine de "l'individualisme", du "libéralisme" et des Américains. Et nous savons fort bien que ces traits-là, tout regrettables qu'ils soient, sont parmi les plus partagés parmi nos hommes politiques. Pour le dire autrement, les facettes maurrassiennes de Zemmour ne font pas de lui un disciple spirituel de l'essayiste d'extrême droite, comme pourrait le penser un lecteur occasionnel de BHL.

Je ne suis pas non plus le philosophe quand il critique le trumpisme. Trump, avec ses mauvaises manières et sa vulgarité évidente, a semble-t-il eu le courage de soutenir Israël sans faille et est même parvenu à établir des traités entre l'État juif et plusieurs pays arabes, tout en maintenant l'Iran à distance (curieux que beaucoup de pourfendeurs du fascisme ne s'en prennent jamais à l'Iran dans leurs réquisitoires - je ne parle pas de BHL en particulier, qui me semble au contraire lucide sur le sujet, mais plutôt de toutes ces belles âmes qui s'indignent d'une résurgence supposée du fascisme ou du nazisme chez nous, alors que les régimes totalitaires et bien actifs ne manquent pas dans le monde contemporain.)

Dès lors, la menace que ferait peser sur les Juifs un "Trump français" ne porte guère. L'objection principale, cependant, reste l'assignation à judéité que présente cet article, injonction que je trouve pour le moins déplacée.

Bonus sans rapport avec ce qui précède :

Tariq embrassa la terre du nouveau continent, frappa une fois le sol de son bâton et s'exclama : Frères ! Que cette montagne soit le témoin de notre exploit ! Dorénavant elle portera mon nom, le mont de Tariq, gibr al Tariq. Ainsi naquit Gibraltar.

Tariq contempla le plus grand des fleuves qu'on eût jamais vu. Il frappa alors deux fois le sol de son bâton et annonça : Frères ! Que ce cours d'eau magnifique soit nommé selon sa splendeur ! Voyez le grand fleuve, oued al kebir. Ainsi naquit le Guadalquivir.

Plus avant dans le pays, Tariq croisa la route d'un cours d'eau charriant de la boue. Il s'arrêta, frappa trois fois le sol de son bâton et héla ainsi ses hommes : Frères ! Voyez la rivière qui charrie la lie du monde ! Nous l'appellerons fleuve de la fange, oued al khara. Ainsi naquit le Guadalajara.

En pourchassant une biche à la robe couleur de miel, Tariq découvrit un plateau où voletaient par milliers les papillons. Il frappa quatre fois le sol de son bâton et déclama : Frères ! Ici nous bâtirons le plus prestigieux des palais, al kasr. Ainsi devait naître l'Alcazar.

On amena un infidèle à Tariq. Celui-ci l'écouta, le mit à mort puis frappa cinq fois le sol de son bâton. Il proclama : Frères ! Que soient justement châtiés les impies qui proclament que Mbappé était hors-jeu.

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mardi 5 octobre 2021

Zemmour au fil des jours - 5 octobre 2021

05/10/2021

Zemmour et le libéralisme, c'est la grande vasouille. Voilà que le pourfendeur du laissez-faire, laissez passer se met à vitupérer le 3 octobre à Lille les lourdeurs nationales héritées d'un État en surpoids avancé :

"Nous avons comme prélèvements obligatoires, impôts plus charges sociales, une somme qui représente 47% de notre richesse nationale. En Allemagne, c'est 41%. [...] Il faut que l'État cesse d'accabler [le pays et le Nord] de charges et de normes. [...] L'administration française est dix fois plus pointilleuse que les autres."

Bravo, bravissimo, voilà une prise de conscience soudaine et salutaire de monsieur moi-je-n'ai-jamais-changé, mais je ne voudrais pas en me moquant de la sorte contrarier une nouvelle vocation dédiée à la défense des libertés. Cela fait plusieurs fois qu'on voit l'homme tâtonner dans le domaine, lâcher deux-trois indices qui semblent indiquer une inclination inattendue vers une réduction de la présence étatique sur notre société. Encore un effort : alléger des charges, supprimer des impôts, réduire les prélèvements, cela signifie concrètement que l'État renonce à une partie des missions qu'il s'est lui-même fixées avec notre argent. Lesquelles ? Combien ? Comment ? Affaire à suivre.


https://youtu.be/rmRWM85wwfE

Débat houleux sur les ondes de RMC. Monsieur Z s'en tire bien, à mon sens, malgré une opposition hargneuse, ou peut-être à cause d'elle. Les "échanges" avec Charles Consigny présentent une belle illustration de la technique zemmourienne.

Il écoute sans broncher la question de son opposant. Plus la question est longue, et plus Zemmour est à l'aise, car il sait qu'on ne pourra pas lui refuser un temps aussi important pour sa réponse. Il écoute, donc, prend note de quelques points intéressants, puis formule sa réplique. Elle est souvent cinglante et suscite aussitôt des réactions outragées de son interlocuteur. Tut tut tut ! fuse Zemmour. Je vous ai laissé sagement parler, maintenant souffrez que vous me rendiez la pareille et ayez l'obligeance de me laisser discourir (ce ne sont pas les mots qu'il emploie, je brode pour la forme). Consigny, pour avoir tenté de violer cette règle (et, il faut dire, de façon assez grossière, discourir par-dessus le propos de son interlocuteur est une grave incorrection ou plutôt, dans le cas présent, une technique destinée à rendre l'autre inaudible, tout en épuisant le temps imparti. Étrange que Charles Consigny, et avant lui Mourad Boudjellal, aient sacrifié à de tels procédés de bas étage) s'est fait proprement rabrouer.

La scène a quelque chose de réjouissant, il faut bien le reconnaître, même si cela est certainement un brin injuste. Dans la même émission, Z fait une nouvelle fois preuve de son habilité. Consigny sur le grand remplacement :  "ça vous obsède". Réponse immédiate de Zemmour : "oui, absolument" (un autre que lui aurait tenté une esquive).

Consigny : "et ça vous perturbe". Z, nullement démonté : "oui, ça me perturbe et ça m'obsède. Quand je vois la France disparaître, quand je vois que dans d'innombrables quartiers la France a été envahie et colonisée par une autre civilisation, oui, ça m'obsède".

Consigny, déçu de n'avoir pas su bousculer l'invité, l'empêche de discourir. Z s'énerve. Consigny connaît ses classiques : "pour être président, il faut être calme". Zemmour, du tac au tac : "je m'en fous." Cinglant et définitif.

Oui, l'homme est habile sur un ring. Plus à mon avis que seul en scène ou dans ses livres.

samedi 2 octobre 2021

Zemmour au fil des jours - 2 octobre 2021

 2 octobre 2021

À en croire les cris d'orfraie de la classe politique, le courant "populiste" incarné par Zemmour serait sur le point de tout emporter, d'envoyer valser le système en place avant d'engager la France dans une spirale fasciste. Le dernier sondage l'aurait placé à 40%, et non à 15%, que nous aurions droit exactement aux mêmes réactions. Pourtant, LR voudrait déployer un cordon sanitaire, à l'instar de celui qui était réservé au FN, et BFM signale que l'Élysée est en train d’aménager une "cellule riposte" chargée du cas Z. À gauche, Eric Naulleau s'emporte après avoir été traité à trois reprises de "facho" par Yassine Belattar. Son crime ? Être l'ami du grand Satan et ne pas renier cette amitié en dépit des "dérapages" de ce dernier. Zemmour est haram. Naulleau est haram. La quête de la pureté est un autre nom, en politique, de la "radicalité", notion qui précède l'épuration. Naulleau est courageux et j'apprécie à titre personnel le fait qu'il soit à la fois de gauche et anti-totalitaire. Deux choses qui me semblaient aller de soi quand j'étais plus jeune, avant que les écailles ne me tombent des yeux.

Les journalistes de BFM s'estiment maltraités par le candidat virtuel (et ce, à juste titre), sans toujours se rendre compte que leur métier est décrié par une grande partie des Français. La langue de bois sur les attentats et la multitude d'incidents plus ou moins graves commentés par eux en termes feutrés ou allusifs les a rendus suspects, et Zemmour paraît comme celui qui donne leur revanche aux auditeurs méprisés.

Enfin un monologue de Zemmour regardable : Éric Zemmour répond à Emmanuel Macron sur l'identité française.


Plein air, le dôme des Invalides, symbolique à plusieurs titres, à l'horizon, pas d'appartement sinistre, pas de cadrage en gros plan qui, éclairage artificiel aidant, fait ressembler l'homme à une réincarnation de Nosferatu. Une réussite. Cravate un peu tordue, il est vrai, et il prononce "rétrécissement" à la façon de Pasqua ("reutrécissement"), mais qu'importe. Sur le fond, je n'ai pas grand-chose à redire. Il touche juste. Je comprends parfaitement sa position au sujet des prénoms et, sans être un fanatique de la chose, je ne vois pas du tout où serait le scandale à réactiver une loi qui avait cours sous Léon Blum et le premier mandat de François Mitterrand. Fascisme ? Allons donc. Aucune opposition de principe pour ma part à cette mesure qui, précisément, entend combattre une idéologie proche par bien des aspects des grands totalitarismes du XXe siècle : mise au ban des déviants, main-mise sur la vie privée et obsession de la pureté.

Il existe toutefois, selon moi, des facettes maurassiennes chez Zemmour, comme je l'ai noté au sujet du libéralisme ou des Américains. Là se trouve une raison de mon intérêt pour cet homme, à la fois à la pointe, et bien seul en cela, d'un combat essentiel, et porteur d'idées qui hérissent mes convictions politiques.

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mardi 28 septembre 2021

Zemmour au fil des jours - 28 septembre 2021

28/09/2021

"Un patron en jeans qui a tout inventé dans son garage, c’est notre mythe de la caverne à nous. Et tant pis si le garage était juché sur le porte-avions de l’armée américaine !"

Ben voyons ! Comme dirait Z. Tout à sa détestation de l'esprit d'entreprise et de l'Amérique, Zemmour a pris l'habitude de professer son mépris contre la légende des grandes réussites nées à partir d'initiatives individuelles. L'un des mérites de la société américaine est de ne pas chercher à décourager l'entrepreneur en herbe à coup de législation étouffante et de normes ubuesques - cela est peut-être en train de changer, mais disons que ce fut la vérité pendant plusieurs décennies. Sacrilège pour le thuriféraire de l'État stratège, avec ses plans quinquennaux qui ont tant fait progresser l'humanité. On comprend son obstination féroce à déconstruire le mythe d'Apple, ou de Google (il parle indifféremment de l'une ou l'autre de ces firmes, en attendant qu'il s'attaque un jour à Hewlett-Packard, s'il arrive à en articuler correctement le nom).

C'est ce qui s'appelle se prendre les pieds dans le tapis de souris. Imaginons qu'Apple ait été créé sous la houlette de l'armée, donc du gouvernement fédéral. Cette réussite serait alors celle d'un état, et les États-Unis, par définition, ne seraient plus ce sanctuaire du libéralisme que Zemmour vilipende à en perdre haleine. Eh ! Il faut savoir, l'ami, et choisir entre deux combats, plutôt que de les mener de front avec des objectifs contradictoires. Sûr que Napoléon, lui, ne se serait pas vautré aussi lamentablement.

Vu ses interventions sur Cnews, dimanche, avec Sonia Mabrouk, où il s'est fait curieusement bousculer, et sur LCI, lundi soir, combatif comme jamais. Deux facettes complètement opposées d'un même homme. Autre objet d'étonnement, sur LCI il a même laissé tomber deux-trois pensées que n'auraient pas reniées un libéral. Serait-il en train de prendre conscience de la faiblesse de sa science économique et d'opérer un insensible revirement ? On n'ose le croire.

201 k abonnés pour EricZemmourOfficiel sur Youtube, cette plate-forme de vidéos sans doute née dans un sous-marin américain (pour changer).

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dimanche 26 septembre 2021

Zemmour au fil des jours - 26 septembre 2021

26/09/2021

Poursuivons avec "La France n'a pas dit son dernier mot". Zemmour se croit fondé à fustiger le libéralisme quand il rappelle la crise des subprimes de 2008. "La droite félicitait [Sarkozy] d’imiter le libéralisme américain qui, au contraire des banques françaises, ne s’encombrait pas de précautions en tout genre", écrit-il. Cette phrase veut peut-être dire quelque chose si l'on prend le mot "libéralisme" dans l'acception fumeuse et incorrecte que lui donne Zemmour ; en revanche ceux qui voudraient respecter à la fois le sens des mots et la vérité historique savent combien cette assertion est fausse. Les banques américaines étaient bien au contraire obligées d'accorder des prêts à des ménages défavorisés en vertu de la législation : il s'agit sans ambiguïté d'une faute grave de l'État, et non d'une conséquence du libéralisme. Histoire connue : l'interventionniste censé être bénéfique entraîne catastrophes en série et appelle de nouvelles mesures "correctives" qui ne font qu'accentuer le désastre. La crise financière de 2007-2008 n'était pas une crise libérale, mais essentiellement étatiste, dans la droite ligne d'autres grandes crises contemporaines.

Sautons quelques phrases : "Les subprimes étaient un moyen ingénieux, inspiré de l’administration démocrate sous Clinton, de favoriser l’accession des plus pauvres à la propriété en ajoutant aux critères habituels de l’obtention des prêts la valeur du bien acquis. Les libéraux les plus dogmatiques jubilaient : ils démontraient avec éclat que le marché aide les pauvres à sortir de leur état quand la réglementation étatique les y enferme." Non-sens : ce "moyen ingénieux" étant le fruit du bon vouloir irréfléchi d'un État aveugle, on voit mal comment les libéraux, mêmes "les plus dogmatiques", auraient pu jubiler. On rappelle qu'un homme politique attaché au libéralisme, Ron Paul, avait dénoncé dès le début des années 2000 l'aberration de ce système et les dangers qu'il faisait porter à toute l'économie. Et s'il y avait une raison de jubiler, c'est en constatant que le libéralisme, tant bien que mal, a tiré l'homme de son état naturel et immémorial de trompe-la-mort en produisant une augmentation générale de la richesse : pour paraphraser une formule célèbre, les riches sont de plus en plus riches, tandis que les pauvres sont de plus en plus riches.

On n'est pas étonné de voir Zemmour se fournir en munitions auprès de Jean-Claude Michéa, auteur d'essais à charge sur un fatras idéologique sans queue ni tête qu'il nomme, pour rester dans l'air du temps, "libéralisme".

Trouver de tels travestissements de la réalité dans le succès de librairie du moment est consternant, et n'augure rien de bon pour le quinquennat que Zemmour dirigera peut-être. D'un autre côté, les préjugés anti-libéraux étant si répandus, et si acceptés par la totalité, ou presque, de la classe politique et journalistique, il n'est pas certain qu'un autre président adopte une position plus judicieuse.

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samedi 25 septembre 2021

Zemmour au fil des jours - 25 septembre 2021

25/09/2021

J'ouvre de nouveau "La France n'a pas dit son dernier mot". Je ne pense pas une seconde que le succès de ce livre soit dû à ses qualités littéraires, ou à l'originalité de sa construction. Provient-il des idées qui y sont défendues ? En partie, évidemment, tant la présence de Zemmour dans le débat public, depuis des années, lui a permis de les faire connaître et en partie apprécier.

Un historien des temps futurs, s'efforçant de décrypter l'œuvre de Zemmour, en déduirait que notre époque était en proie à un démon omniprésent et tout-puissant, grignotant la charpente millénaire qui jusqu'à présent soutenait notre civilisation, menaçant de la faire écrouler. Notre historien découvrirait le nom de cette créature infernale : le libéralisme. Et, livre de Zemmour en main, il noterait fiévreusement la liste des fanatiques ou des égarés qui ont vendu leur âme au diable libéral : dans l'ordre d'apparition, François Mitterrand, puis une bonne partie du Parti Socialiste au début des années 2000, François Bayrou, Alain Minc, Nicolas Sarkozy, Michel Rocard, Alain Juppé, Édouard Balladur, Gérard Longuet, Valéry Giscard d'Estaing, Raymond Barre, la gauche des années 1980, les chiraquiens, Pascal Lamy, Jacques Delors, Michel Camdessus, Patrick Devedjian. Le libéralisme, dans la novlangue de Zemmour, est cette idéologie qui a envahi, depuis quarante ans, l'éventail politique français du centre-gauche au centre-droit, et mène à coup sûr le pays vers la faillite.

L'on peut évidemment penser que Mitterrand, Balladur, Chirac, etc., ont été des libéraux, ou libéraux pendant une partie de leur carrière. Cette façon de voir les choses ne heurterait en rien l'opinion générale avancée par Zemmour, Onfray ou quasiment tous les commentateurs de l'actualité. On peut également choisir de s'instruire. Se renseigner sur ce qu'est le libéralisme, lire Bastiat, ou d'autres auteurs libéraux, et comparer leurs discours aux actes réalisés par les hommes publics cités plus haut. Prenez Sarkozy, par exemple, auteur acharné de taxes, hausses d'impôts et autres instruments de pression fiscale (on trouvera une liste kafkaïenne ici : L’ahurissante accumulation d’actes manqués de Sarkozy). Un dirigeant qui presse les gens pour servir l'état n'est pas un libéral, c'est même exactement l'inverse. Un homme politique qui se creuse la tête pour inventer de nouvelles taxes est tout sauf un libéral.

Pour Zemmour, le terme "libéralisme" ne désigne pas le libéralisme. Ce mot devient un fourre-tout où il enfourne sans discernement tout ce qui s'oppose à son rêve colbertiste. C'est commode, sans aucun doute, et faux, tant il y a de façons de ne pas être un libéral, comme nous le crie chaque jour notre actualité nationale. Ne nous y trompons pas, le combat du journaliste embrasse une réalité plus vaste : le libéral, c'est l'Anglo-Saxon. Combattre les libéraux, c'est reprendre le flambeau des batailles menées depuis le Moyen-Âge contre nos voisins d'outre-Manche, ou la posture du grand Charles voulant renvoyer Américains et "Russes" dos-à-dos, comme s'il s'agissait de deux empires également menaçants. Car Zemmour, tout comme de Gaulle, gomme toute dimension idéologique dans son commentaire géopolitique, une erreur qui lui fait commettre de graves erreurs d'analyse - j'y reviendrai.

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dimanche 19 septembre 2021

Zemmour au fil des jours - 19 septembre 2021

19/09/2021

Je ne suis pas un bon client pour Zemmour. Son livre relate des rencontres avec des hommes dont la plupart m'indiffèrent tout à fait. Je n'adhère en rien à son éloge, renouvelé hélas, de Georges Marchais, ni à son obsession antiaméricaine, ni à sa détestation du libéralisme, ou du fourre-tout qu'il nomme libéralisme. Je crains d'être bien seul : en France, le libéralisme est détesté par tous les bords politiques, les États-Unis réunissent contre eux les ténors de gauche, du centre et de la droite, et M. Marchais a acquis post-mortem l'image rigolote d'un amuseur trop tôt disparu. En ce qui touche à ces trois points - pourtant au cœur de son système de pensée, et qui discréditent à mes yeux la logique de son engagement - tout le monde sera d'accord avec Zemmour, ce qui est une effroyable nouvelle pour la qualité du débat public en France.

Je retrouve, sans grande surprise, l'impression qui fut la mienne au sortir de Suicide Français : Zemmour clame haut et fort l'existence d'une menace islamiste qu'accompagne un important flux migratoire, chose tue ou niée par la classe politique standard. Quand bien même il aurait tort partout ailleurs, ce courage lui vaut l'attention de tous ceux que la perspective d'affrontements ou d'une soumission à la Houellebecq terrifie. Je considère ce panorama froidement, sans aucun enthousiasme pour une pensée qui par ailleurs m'apparaît singulièrement équivoque ou lacunaire.

160.000 abonnés pour la chaîne Youtube EricZemmourOfficiel, où une nouvelle vidéo, celle d'une "rencontre littéraire" (guillemets de rigueur) à Toulon a été publiée.

mardi 7 septembre 2021

Zemmour au fil des jours - 7 septembre 2021

07/09/202

Face à l'info. On parle du Brésil. D'emblée, Z se trompe sur le printemps des démocraties en Amérique Latine. Il ne suit pas la chute du mur de Berlin mais la précède, d'une dizaine d'années, et trouve son origine dans la démocratisation de l'Espagne et du Portugal, faisant tomber un à un les dictateurs au fil des années 80 et au début de la décennie suivante - sauf évidemment Castro et sa clique. Mais c'est un détail. Zemmour, en grande forme, enfourche son cheval de bataille pour aller guerroyer contre le "gouvernement des juges".

Je comprends que le pouvoir des juges, qui ne sont pas élus et profitent de leur fonction pour endosser un rôle d'idéologues, a quelque chose de très déplaisant. D'un autre côté, la démocratie "du peuple, par le peuple, pour le peuple", est une perspective tout aussi terrifiante : une démocratie intégrale, sans garde-fou, peut verser sans faillir dans le totalitarisme, comme l'a montré l'Allemagne des années 1930. Oui, le plus barbare des États peut être une dictature démocratique, sans oxymore, puisqu'il se contenterait de mettre en œuvre le souhait du plus grand nombre, fût-il porteur de carnages sans nombre. Au passage, il est piquant de paraphraser le mot de Lincoln, cet immense constitutionnaliste, pour défendre une démocratie hors limites.

Le problème est à mon sens un peu différent : dans une démocratie libérale, les contre-pouvoirs institutionnels ne devraient pouvoir s'exercer qu'en rapport avec les droits de l'homme et du citoyen. Ces droits, tous ces droits, mais seulement ces droits. Je parle ici des textes fondateurs, et non des versions dévoyées de l'après-guerre, qui portent la marque des Soviétiques, et encore moins de la définition actuelle qui en font un fourre-tout cauchemardesque. À titre d'exemple, on finirait par oublier que piquer un logement inoccupé n'est pas un droit de l'homme. Trucider son voisin parce qu'il aime Zemmour non plus, au passage.

Je pense que Z est en droit de s'inquiéter du pouvoir des juges. Je ne le suis pas du tout cependant quand il défend une démocratie illibérale.

Décidément en grande forme, fulminant, gesticulant, le verbe empressé, Z a fini l'émission sur les chapeaux de roue, s'employant à démonter un par un les arguments de Sandrine Rousseau et de ses semblables - il manquait simplement un contradicteur, ou une antagoniste, pour que le combat fût complet et réellement convainquant.

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samedi 9 janvier 2016

L’hypothèse interdite





La France moderne, et plus généralement la civilisation occidentale, se sont formées autour d’une idée maîtresse : la passion de la vérité. De là les principes de société qui récusent tout usage opérationnel d’une pensée magique. Cet attachement à la chose scientifique porte très concrètement ses fruits dans les progrès de la médecine et les grands projets industriels et techniques des XIX et XXe siècles. Le fait superstitieux, ou religieux, est dès lors confiné au domaine privé. Chacun, en effet, est libre de croire ou de penser ce que bon lui chante, tant que cette croyance ou cette pensée ne se traduisent pas par des actes (y compris politiques) en contradiction avec les droits naturels.

Nul ne songerait, en pays libre, à lui contester ce droit. Mais ce droit est au même titre celui de ceux qui critiquent cette pensée magique. La tolérance ne consiste pas à respecter bouche bée toutes les manifestations de l’irrationnel : elle se borne à refuser tout usage de la violence envers nos contradicteurs, et à mettre en oeuvre les principes du débat. Elle n’est pas, comme on l’entend trop souvent, un mutisme confit devant des gris-gris ou des manifestations bigarrées : elle doit être le droit de les juger et même, à l’instar d’un Swift, de les mettre en boîte.

De toutes les études qui déferlent sur la place des musulmans dans l’Europe de demain, je m’étonne de ne voir jamais formulée une hypothèse toute simple, pourtant évidente. La foi est une opinion ; un homme use donc de sa liberté en modifiant cette opinion. En dépit de cela, l'idée qu'un individu puisse délaisser sa foi en l'islam n'est guère envisagée. De même, un enfant né dans une famille musulmane n’est pas voué à devenir lui-même musulman : soit par volonté de sa famille de ne pas «l’embrigader» dans cette filiation civilisationnelle, et de lui laisser en quelque sorte le choix de s’orienter, une fois venu l’âge de raison, vers le mode de pensée qui lui paraît le plus approprié ; soit par son propre désir d’individu ressortissant d’un pays libre de s’émanciper d’une culture qui lui aurait été imposée.

L’hypothèse qu'un musulman demeure un individu par essence adepte de l'islam, ou que des musulmans n’engendrent que des musulmans, n’est pas seulement fausse : elle est dangereuse. Elle fait accroire l’idée que l’islam est une race, concept dangereux et controversé mais qui pourtant est implicite dans les projections d’avenir. L'on ne se défait ni de sa couleur de peau ni de ses origines, mais tout un chacun choisit son école de pensée. Il est étonnant que le sous-entendu de ces fameuses prospectives ne fasse pas scandale, sauf si l'on admet avoir renoncé à l’une des plus belles conquêtes de la modernité : celle qui rend l’individu souverainement libre.

Je ne suis pas dupe de l'aspect polémique de cette hypothèse. Par un renversement de sens aussi curieux que fâcheux, la simple évocation d'un affranchissement individuel est devenue le symptôme d’une insupportable barbarie. Rendre les hommes éclairés au sens voltairien, donc plus libres, est vu comme un inadmissible viol de l'esprit. Cette insoutenable légèreté de la pensée critique face aux injonctions du moment - ne pas amalgamer, ni juger ni stigmatiser, tout respecter, y compris les pires inepties, s'indigner, oui, mais uniquement contre nos propres valeurs - signe un renoncement devant le fait accompli et souligne notre abandon collectif de toute volonté à changer les choses.

Je ne m'illusionne pas au point de penser que cette émancipation puisse se faire aisément. Je ne suis pas assez naïf pour ignorer le poids des traditions et la force du nombre, et, parfois, les effets d'une vigilance tatillonne et quasi institutionnelle de préceptes religieux. Je ne méconnais pas les châtiments promis aux convertis et aux apostats. Mais je sais aussi que l'un des rôles de l'Etat est - ou devrait être - la protection scrupuleuse des individus : notre Déclaration de 1789 édicte la "résistance à l'oppression" comme l'un des droits imprescriptibles. Et j'observe çà et là, parmi mes connaissances, des témoins croisés sur la toile ou même des hommes célèbres (prenez Djibril Cissé), un mouvement timide mais bien réel de personnes ayant choisi de renoncer à l'islam.

Je pose ici un constat dénué de passion. Une presse souvent extrémiste a beau annoncer une "déferlante musulmane", le monde de demain n'est peut-être pas celui qui nous est promis. Je ne parle évidemment pas des islamistes venus porter le fer de la guerre en Europe, mais des autres gens venus en quête de refuge en fuyant la barbarie. Ces hommes peuvent changer : cette évidence me semble trop souvent oubliée. Encore faut-il que la société qui les accueille se donne les moyens de favoriser ce changement et de veiller à ce que les sourcilleux gardiens de la tradition ismaélienne se contentent d'exposer leurs arguments et renoncent de fait à toute action violente : c'est en renouant avec des valeurs aujourd'hui oubliées que les autorités favoriseront l'expression de cette liberté à reconquérir.



samedi 22 novembre 2014

Le Suicide Français d'Eric Zemmour : une critique

Eric Zemmour aime la France, c'est sa raison d'écrire. Il aime la France, son passé prestigieux, ses écrivains, sa place dans l'histoire qui la mettaient en position de dominer le monde, de parler en maître à l'Allemagne, à l'Angleterre et à la Russie, de se tenir à distance des Américains cauteleux.

Le Suicide Français, sous-titré Les 40 années qui ont défait la France, tient une chronique rétrospective des événements qui selon l’auteur ont fait de la France un pays déconstruit, un bateau ivre, une nation de second rang au bord de la guerre civile. Chaque chapitre est conçu selon le même modèle. Le point de départ est une date, de 1970 à 2007, et l'exposé d'un fait de société de cette année : une décision politique, une chanson, un film, ou encore une partie de football. Il rappelle le contexte de cet événement et en développe les conséquences. Elles sont toujours négatives : le fait que l'on pensait anodin portait en lui un ingrédient qui, on le voit maintenant, a fait reculer la nation française, participait d'une sourde entreprise à notre déclin. Les décideurs angéliques préparaient le suicide français.


Des polémiques


Le chapitre sur le droit des femmes (17 janvier 1975 - La femme est l’avenir de l’homme) a choqué. L'auteur ne prend pas une position pro-vie, ne dit pas que l'embryon est un être humain, ou qu'il souffre. Son discours est autre : « Quand Debré entend le mot avortement, il ne sort pourtant ni son revolver ni son crucifix, mais sa calculette. Il compte et il pleure. Il compte les enfants qui manqueront, selon lui, à la France et il se lamente sur la puissance perdue, enfuie à tout jamais. » J'ignore si le calcul est défendable, et si la baisse de la natalité est due, et en quelle proportions, à la loi sur l'avortement. Zemmour souligne le militantisme du MLF et l’abdication des hommes. Mais jamais il n'étudie l'hypothèse d'un maintien de l'interdiction d'avorter. Si notre démographie se serait mieux portée – ce que je ne sais pas dire – est-ce qu'il fallait continuer avec ce réseau d'avorteurs clandestins, plus ou moins véreux, que l'on payait au noir, avec les risques sanitaires que l'opération comportait ? Fallait-il que les femmes continuassent à se rendre à l'étranger pour se faire avorter dans des conditions acceptables ? Ces questions ne sont pas débattues : or elles sont au cœur du débat.

D'autres passages ont fait polémique. Les Juifs français protégés par Pétain ? « Les mêmes (historiens de l'après-guerre) expliquaient le bilan ambivalent de Vichy par la stratégie adoptée par les Pétain et Laval face aux demandes allemandes : sacrifier les Juifs étrangers pour sauver les Juifs français. », écrit Zemmour. La thèse surprend. J'aurais aimé que ses contradicteurs, à la télévision, lui opposent des éléments historiques. Je n'ai vu qu'échanges de noms d'oiseaux et anathèmes. N'étant pas historien, pour ma part, je note cette thèse surprenante, dans l'attente d'être plus instruit. Le point qui fait débat est celui des intentions : Vichy a-t-il réellement voulu préserver les Juifs français de la barbarie nazie ? Ou bien le nombre de sauvés ne s'explique-t-il que par le retard d'application du sinistre plan ? Zemmour choisit la première hypothèse, ce en quoi il ne semble pas suivi par la plupart des historiens contemporains. Mais la question devrait mériter une réponse pédagogique, argumentée, plutôt que de regrettables coups de sang qui ne servent pas la cause de la vérité historique.

L'insupportable libéralisme


Mais Zemmour n'aime pas toute la France. Une chose lui déplaît souverainement dans la Révolution Française : c'est la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Le mot de déclaration est essentiel. Les auteurs du texte se posaient en observateurs d'une réalité qui les dépasse. Ils déclarèrent donc – et non décidèrent – que l'homme est naturellement libre, et que ce droit est imprescriptible. Cette liberté fondamentale ne provient donc pas du bon vouloir d'un gouvernement : elle précède toute posture politique. Elle n'est pas une loi que l'on peut faire et défaire : c'est une vérité avec laquelle il faut composer.

Ce discours est libéral au sens premier. On l'a peut-être oublié : les premiers révolutionnaires étaient des libéraux. La gauche des origines était libérale. Mais voilà : ce libéralisme est insupportable pour Zemmour, qui place l'Etat au-dessus de tout. L'Etat, c'est Napoléon, c'est de Gaulle, de grands hommes qui avaient compris le jeu intime des nations - l'ennemi anglais, la puissance allemande – et s'efforçaient de donner à la France sa juste mesure.

En aimant l'Etat français, quand il est fort, Zemmour ne tolère aucun pouvoir qui puisse lui être supérieur. On comprend mieux pourquoi la phrase de Marx, qui explique que tout droit est le droit de la classe dominante, plaît tant à Zemmour. Elle introduit le relativisme, dans la lignée de Johann Gottfried von Herder, là où 1789 proclamait un absolu. Ce relativisme fait de Zemmour un héritier du romantisme, à l'instar de Marx qu'il cite à tout champ, un romantique nationaliste français. Voici cet étrange penseur : un Français qui rejette l'enseignement de nos Lumières, à portée universelle, pour lui préférer le culte du local. Cette posture le met en position de refuser tout libéralisme, ou plutôt ce qu'il imagine être du libéralisme. Car dans le domaine Zemmour confond loi du marché, libre-échangisme, capitalisme et libéralisme, termes qu'il emploie indifféremment dans ses différentes chroniques au moment où la cause du malheur doit être expliquée.

Ainsi l'on lit que la Chine serait "économiquement libérale". L'expression révèle une incompréhension manifeste : le libéralisme n'est pas une doctrine économique. Un pays non libéral dont l'économie serait libérale est une contradiction dans les termes. Dans une Chine libérale, un entrepreneur pourrait faire traduire et diffuser les écrits de Zemmour ; or celui qui aurait une telle audace aujourd'hui risquerait fort de se retrouver emprisonné dans le goulag local, le sinistre loagai. Un pays avec des camps de rééducation n'est pas un pays libéral. La Chine n'est pas libérale. Son économie est capitaliste et, contrairement à ce qu'écrit Zemmour, il y a beaucoup d'exemples de dictatures capitalistes. Zemmour cite le Chili de Pinochet. Il aurait pu ajouter la Yougoslavie de Tito, le Mexique pour une bonne partie du siècle dernier, les « dragons asiatiques » parmi d'autres. Pays tous capitalistes sans être libéraux pour autant.

C'est pourquoi Eric Zemmour se trompe quand il raille une pensée naïve qu'il prête aux libéraux, selon lesquels, à l'en croire, le « libéralisme économique s’accompagnerait inéluctablement de sa version politique des droits de l’homme, démocratique et libérale » : ce qui compte avant tout c'est la liberté, qui s'impose naturellement au domaine économique comme aux autres. C'est aussi pourquoi l'expression qu'il emploie de « libéralisme modéré » est un non-sens.

Ailleurs, Zemmour écrit : « Ils s’opposaient à la "mondialisation néolibérale" sans comprendre que l’expression était un pléonasme. ». C'est faux : la mondialisation aurait pu être nazie ou soviétique ; elle représente encore le but des islamistes. Nos anciens anti-mondialistes se sont rebaptisés alter-mondialistes : il veulent une autre mondialisation. Autrement dit ce n'est pas la mondialisation qui les révulse, mais la mondialisation telle qu'elle s'annonce aujourd'hui.

Le libéralisme serait donc, selon l'acception majoritaire reprise ici par Zemmour, une entreprise d'esclavagisme vouée au seul profit. On se demande bien pourquoi Victor Schoelcher, le député qui fit voter l'abolition de l'esclavage, n'était ni socialiste ni marxiste d'aucune obédience, mais libéral. Pourquoi la loi qui limitait le travail des enfants fut présentée par des députés libéraux. Et pourquoi ces profiteurs égoïstes obnubilés par l'argent auraient combattu tant d'années pour enfin arracher à Napoléon III le droit de grève. Il y a plus : bien des syndicalistes actuels s'étrangleraient si on leur rappelait que c'est un ministre libéral, Pierre Waldeck-Rousseau, qui a autorisé le syndicalisme en France ; le même Waldeck-Rousseau qui lança en 1899 la révision du procès d'Alfred Dreyfus.

De Marx à Marchais


Voilà, sous la plume de Zemmour, Marx en phare de la pensée universelle, plus actuel que jamais. Or encenser Marx, c'est chanter les louanges d'un architecte au génie hors pair, dont tous les immeubles se seraient effondrés en massacrant la moitié de ses occupants et en laissant les autres infirmes.

Que vaut donc une pensée dont la moindre mise en œuvre ne s'est jamais traduite qu'en terme de pénurie, d'arbitraire, de séquestration et de massacres de masse ? Marx, avec son état tout puissant – et donc responsable de tout – plaît à Zemmour qui ne supporte pas le libéralisme. Dans chaque chapitre de son livre, les causes de l'échec sont identifiées : elles se nomment le marché, les Américains, l'approche libérale. A en croire Zemmour, nous vivons dans une soupe libérale depuis quatre décennies, et de là vient le désastre français. Taper sur les « libéraux » est un réflexe constant de la classe politique française, et on regrette de voir Zemmour tomber dans le même sempiternel panneau. La loi de la jungle ? Le libéralisme. Les travailleurs-esclaves ? Le libéralisme. L'affaiblissement de l'école ? Le libéralisme.

Tous les maux de la Terre ? Le libéralisme, le libéralisme vous-dis-je ! Pourrait s'exprimer Toinette-Zemmour.

Sa détestation du libéralisme, responsable de tous les malheurs, le pousse naturellement à réhabiliter la mémoire de Georges Marchais. Le métallo au langage fruste, digne représentant de la classe ouvrière, a laissé un souvenir amusé dans l'imaginaire des enfants de la télé. Gardons-nous des faux souvenirs : l'homme n'était pas qu'un pitre. Le premier secrétaire du PCF, parti grassement payé en sous-main par le grand frère soviétique grâce aux bons offices de la Banque du Nord, était un féroce idéologue, rompu à toutes les techniques dilatoires destinées à déstabiliser ses contradicteurs pour éviter de répondre aux questions sensibles.

Ses attaques personnelles, sa mauvaise foi terrorisaient les journalistes. Marchais donc, « dernier gaulliste » pour Zemmour, s'était engagé volontaire pour travailler au profit des Nazis pendant la guerre. Singulier gaulliste, en vérité, que cet opportuniste planqué chez l'ennemi, logeant à l'auberge du Bélier Bleu à Augsbourg, ainsi que l'avait révélé l'Express, petit collabo n'ayant même pas l'excuse du STO – un simple examen des dates prouve qu'il travaillait chez Messerchmidt avant l'instauration du travail obligatoire, en 1942. Marchais œuvrant pour le national-socialisme mettait ses pas dans ceux de Thorez, réfugié à Moscou avec un laisser-passer allemand.

Marchais rejetant les « deux blocs » ? Zemmour invente. Le 1er secrétaire du PCF déjeunait avec les Ceaușescu au bord de la Mer Noire et estimait que le Soviet Suprême était plus libre que notre Assemblée Nationale. Là où Zemmour croit deviner une prescience extraordinaire d'une nouvelle époque soumise à la toute-puissance capitaliste, il n'y avait en réalité que débandade face à la crise des électeurs. L’ouvrier remplacé par l'émigré, voilà qui allait précipiter la chute de l'électorat traditionnel – un électorat qui devait préparer bien évidemment le Grand Soir avec la main bienveillante des sbires de Brejnev. Zemmour voit de la lucidité où il n'y avait vraisemblablement qu'une pitoyable tentative de colmater la fuite des votes.

Zemmour rapproche l'intervention soviétique en Afghanistan et la guerre que menèrent au début du XXIe siècle les Américains : ne s'agissait-il pas de combattre le péril islamique ? C'est évidemment une illusion. L'invasion de 1978 était le fait d'arme d'un pays totalitaire, avide de dominer le monde, qui entendait ainsi affirmer sa puissance en Asie, ajouter un nouveau pays à son empire. A cette époque les Talibans n'existaient pas. Et tous les Afghans qui défendirent leur pays n'étaient pas des islamistes. Avons-nous oublié Massoud ? L'Amérique est entrée en guerre, avec l'aval de l'ONU, contre un pays complètement différent, mené par des fous de Dieu qui avaient offert l'asile aux responsables des attentats du 11 Septembre. Et non pour y installer un dictateur à leur botte à la façon soviétique : l’Amérique se moquait comme d’une guigne de ce pays lointain et arriéré et n’y est allé qu’en réponse à une agression, au contraire des Soviétiques, impérialistes par essence.

Quant à la lettre de Marchais pour défendre l'enseignement de l'histoire à l'école, ne nous y trompons pas. On sait de quelle histoire il s'agit : celle où il n'a pas été volontaire pour travailler en Allemagne mais victime du STO ; celle où les révolutionnaires de 1956 à Budapest étaient des agents impérialistes ; le monde enchanté où la RDA est un modèle de réussite économique, où l'URSS regorge de récoltes faramineuses, digne sauveuse d'une Russie tsariste encore au Moyen-Âge. Contrôler l'enseignement de l'histoire, ce vieux rêve de tous les idéologues.

Erreurs et approximations


La logique des deux blocs, qui permettait à de Gaulle de se placer en sage arbitre entre deux adversaires, est un mythe. Il n'y avait, il n'y a jamais eu deux blocs. D'un côté, un empire totalitaire, sans élections libres, sans liberté de la presse, sans liberté de circuler ; de l'autre, des pays plus ou moins libres, plus ou moins démocratiques, plus ou moins d'accord entre eux. De Gaulle voyait le monde comme au XIXe siècle, sans comprendre qu'après la guerre les idéologies primaient les nations. Zemmour peut construire un discours rétrospectif sur ces 40 années, mais cela ne le dispense pas de respecter les faits : or sur ce point nous restons sur notre faim. Le livre comprend beaucoup d'approximations ou de choses fausses : Marchais n'était pas victime du STO, Harlem Désir (et non Malek Boutih) était président de SOS Racisme au moment de l'affaire des voiles à Creil, c'est Hara-Kiri et non Charlie Hebdo qui fit sa fameuse une après la mort de de Gaulle, le monde n'a pas été partagé à Yalta contrairement au délire gaulliste.

Il insulte la mémoire de Guynemer quand il assène que la « Première Guerre mondiale (était le) premier conflit de l’Histoire qui ne fabriquait pas de héros autres qu’anonymes ». Il croit qu'Internet est « le corollaire » du PC quand ces deux projets n'ont à l'origine rien à voir, et qu'internet est même plus ancien. Il croit que Gorbatchev a été pris d'un réflexe « hamletien » en refusant de massacrer les foules de 89 alors que George Bush avait prévenu sans ambiguïté qu'une action violente ne laisserait pas l'Amérique inactive. Il parle du « cow-boy Camel » (et non Marlboro). Il croit, comme tant d'autres hélas ! que Fukuyama annonçait la « Fin de l'histoire », quand l'essayiste américain examinait le monde contemporain selon la grille de lecture hegelienne revue par Kojève. Il oublie les Coupes des confédérations de 2001 et 2003 quand il affirme qu'après l'Euro 2000 « le football français n’a plus remporté une seule compétition internationale. » Il se méprend en écrivant mal "Ceaucescu". Il attribue à Karl Marx un passage de l'Esquisse d'une critique de l'économie politique de Friedrich Engels. Il voit dans la célèbre Pétition des fabricants de chandelles de Frédéric Bastiat une « intention providentialiste » que le texte n'évoque en aucune manière. Il méconnaît l'histoire musicale quand il profère que « les Beatles sont assez vite rentrés dans le rang de l’embourgeoisement et de la variété musicale » : que l'on compare l’inoffensif Love me do (1963) et A Day in a life (1967), avec ses allusions à Krzysztof Penderecki.

Zemmour affirme que la gauche « refusait par principe de se sentir étrangère à un soulèvement d’où qu’il vienne. Elle était avec les communistes russes en 1917 ; avec les Chinois en 1949 ; avec les Cubains en 1959 ; avec le FLN en 1962. » C'est trop vite dit : la gauche était-elle du côté des insurgés de Budapest en 1956 ? Des révoltés tibétains contre l'occupation chinoise ? des Vénézuéliens contre Chávez ?

Il tord la pensée de Levi-Strauss : « Comme l’avait deviné dès 1962 Claude Lévi-Strauss : "Le but dernier des sciences humaines n’est pas de constituer l’homme, mais de le dissoudre." L’heure venue, le Marché s’emparera sans mal de ces hommes déracinés et déculturés pour en faire de simples consommateurs. »

On ne voit pas le lien entre les deux phrases. Lévi-Strauss parlait des sciences humaines, incapables selon lui de définir un homme mais bien au contraire d'en faire valoir les infinies richesses. Zemmour s'empare de cette opinion pour disserter sur le maudit marché qui veut faire de nous des « hommes déracinés et déculturés », de « simples consommateurs ». Chacune de ces deux phrases peut être discutée, mais il n'y a pas d'enchaînement logique entre elles.

Quand il annonce que « Depuis les deux guerres mondiales, la guerre était devenue un tabou en France et dans tout le continent européen. On était persuadé en Europe (et seulement là) que l’avenir appartenait au droit, aux normes et au marché. Le canon était désuet, condamné à rouiller dans les poubelles de l’Histoire », il oublie la majeure partie du continent européen, dans laquelle l'état de guerre ou la guerre elle-même étaient des réalités : à Budapest, à Prague, en Pologne ou en Yougoslavie, la force militaire s'est déployée sans vergogne, faisant couler le sang de nations européennes. Il oublie que la seconde guerre mondiale ne s'est terminée, pour ces peuples, qu'en 1989, ou même une dizaine d'années plus tard pour les ex-Yougoslaves. Et il oublie de mentionner ce fait inouï dans toute l'histoire : jamais des états membres de l'Europe politique, la CECA, la CEE et l'UE, ne sont entrés en guerre les uns contre les autres. Nous qui vivons dans un continent dont l'histoire est parsemée d’invasions guerrières, dans lequel trois décennies de paix étaient il n'y a pas si longtemps un événement exceptionnel, nous devrions pourtant savoir ce que l'Union Européenne nous a apporté. Le marché, voyez-vous, est un ennemi si redoutable qu’il nous prive de notre droit fondamental de guerroyer une nouvelle fois, et de montrer aux Allemands qui est le maître en Europe continentale. Est-ce au détriment de la souveraineté ? Sans doute. Faut-il le regretter comme le fait Zemmour ? A chacun d'en décider. Mais pour cela il faut poser les faits : c'est ce qui manque ici.

Le Suicide Français est parcouru par une intention finaliste. Les événements n'arrivent pas par hasard, et quand le fil est ténu, Eric Zemmour fait parler les morts. Le Luron et Coluche avaient « une grande prescience », et ce dernier agissait «  comme s’il sentait qu’il n’avait plus que quelques mois à vivre. » « Les communicants mitterrandiens avaient deviné les temps à venir ». L'intervention divine n'est jamais absente : « La punition céleste poursuit toujours les méchants là où ils ont péché. »

Sur la disparition à quelques mois d'intervalle de Coluche, Le Luron et Véronique Mourousi, il note :

« Dans l’Antiquité, ces morts accumulées auraient été vues comme des présages sinistres, entourant cette parodie d’une aura funeste. Mais nous nous croyons à l’abri de toutes les malédictions des Dieux »

Ce passage n'est pas clair. Que faut-il comprendre ? Qu'une société superstitieuse aurait pensé que ces morts n'arrivent pas par hasard ? C'est, d’un point de vue factuel, exact. Mais une société lucide ne pense pas ainsi. Faut-il regretter les temps où l'on croyait à des interventions surnaturelles ? A un monde gouverné par des forces inintelligibles ? « Nous nous croyons à l’abri de toutes les malédictions des Dieux », écrit Zemmour. Reversement sémantique : devient croyant celui qui précisément récuse les croyances. On peine à lire cette vieille scie, qui voudrait que l’athée soit un croyant comme les autres. Encore un indice de l’approche relativiste choisie par Zemmour.

Le procès de de Gaulle


Eric Zemmour a raison de dénoncer le capitalisme de connivence (ce qu’il croit être le libéralisme) sans se rendre compte que la connivence est l’enfant naturel d’une société où tous les pouvoirs sont concentrés, fruit d’une Constitution toute-puissante.

Le libéralisme en politique est bien oublié en France, et absent du débat depuis plusieurs décennies. Zemmour, comme tant d'autres, guerroie contre un fantôme.

Cette mise en accusation d'un pur fantasme cache un procès qui hérisse Zemmour. Celui du gaullisme politique, de cette période dont nous avons hérité une Constitution, adoptée en temps de guerre par un chef de guerre, qui rend l'Etat obèse, pataud et dilettante. Un état tout puissant et incapable de la moindre souplesse, gorgé d'impôts et de subventions, qui a oublié le fondement même de la République, qui est d'assurer la liberté à chacun tant qu'il ne nuit pas aux autres ; de garantir le droit de propriété, ce droit qui hérisse les marxistes de toute tendance. Un Etat qui octroie à son chef le pouvoir de dissoudre l'Assemblée, alors que la motion de censure des députés ne touche que le Premier ministre. Un tel pouvoir entraîne sa propre voracité. Si déclin de la France il y a, depuis l'époque de de Gaulle, ce n'est certainement pas à cause d'une approche libérale, qui n'a jamais existé que dans les pires cauchemars de certains.

Bien au contraire, dans la droite lignée des pouvoirs exorbitants de la Constitution, le pays succombe à l'hypertrophie galopante, année après année, des charges que l'Etat accumule, des affaires qu'il estime de son devoir de réguler sans rien y comprendre et surtout sans qu'il lui soit demandé son avis : qui contrôlait le Crédit Lyonnais quand l'établissement a fait faillite ? L'Etat. La leçon est valable pour l'étranger. La crise des subprimes vient d'une injonction du gouvernement américain à ses administrations de financer les ménages pauvres : le monde devait se fracasser contre le mur de la réalité et l'insolvabilité des malheureux ménages financés à fonds perdus. Évidemment on n'accusa pas l'Etat mais ces rapaces de capitalistes, quand l'origine du désastre fut un geste social que n'aurait pas renié Mélenchon.

Zemmour reste pertinent au sujet de l’islam. Il a raison de dénoncer l’aveuglement de la gauche française après l’attentat de la Rue Copernic, automatiquement attribué à l’extrême-droite alors que les coupables venaient du Proche-Orient. Il pointe avec justesse la détestation de soi qui a saisi les Français, en prenant pour exemple la chanson Lily de Pierre Perret ou le film Dupont Lajoie d'Yves Boisset. Nous serions tous racistes, incapables d’empathie, de véritables incarnations du beauf de Cabu. Ce qui était une alerte salutaire dans les années 70 : attention à ne pas devenir comme eux ! - est devenu un modèle imposé à la nation. Vous voulez interdire les prières dans les rues ? Mais vous êtes un Dupont Lajoie, monsieur.

On s’étonne de ne pas trouver d’allusion au Sanglot de l’homme blanc, essai de Pascal Bruckner (1983) construit autour de cette thématique, ou au dernier ouvrage de Christian Jelen, le percutant La guerre des rues (1998). Eric Zemmour aurait aussi pu citer les films parodiques OSS 117 avec Jean Dujardin ou le grand succès Intouchables, qui procèdent de la même approche : le Français est stupide, l’étranger toujours admirable. Du côté de la bande dessinée, on pouvait rappeler l'existence d'une courte histoire de Gérard Lauzier, Paris sera toujours Paris, à la fois scandaleuse et brillante, comme souvent chez ce grand dessinateur. On est aujourd'hui étonné de trouver, au générique du sketch qui en a été adapté en 1985 pour le film Tranches de vie, les noms de Josiane Balasko et Jean-Pierre Darroussin.

Ces passages intéressants - au sens où ils ouvrent un vrai débat sans s’appuyer sur une histoire reconstruite, mais sur une réalité plus proche et donc plus tangible - méritent d’être lus. On rapprochera l’histoire du voile à Creil avec la remarquable analyse qu'en a faite Alain Finkielkraut avec son livre l’Identité malheureuse.

Relire Revel


Jean-François Revel, dans un livre bouleversant de 1983, Comment les démocraties finissent, avait donné sa propre analyse d’un suicide, non pas français, mais des pays libres en général. Revel pointait l’ennemi des années 80 : l’URSS et ses alliés objectifs, et tous ceux qui, à leur insu ou non, relayaient les thèses soviétiques en terre démocratique.



Sa pensée reste du plus haut intérêt. Les mécanismes qu’il décrit sont les mêmes aujourd’hui, qui poussent une partie de la population à prendre fait et cause, et parfois les armes, contre les démocraties. Jean-François Revel était, selon Zemmour, « porté par un antimarxisme militant qui l’aveuglait souvent » : l’on ne voit rien, ni de près ni de loin, qui justifie pareil jugement. Il faut lire et relire la Tentation totalitaire, Ni Marx ni Jésus, la Connaissance inutile, la Grande Parade et tant d’autres ouvrages pour comprendre à quel point cet auteur était dans le vrai à une époque où tout le monde, ou presque, se trompait. Il n’était pas antimarxiste, c’étaient les marxistes, au nom de leur prétendue science, qui étaient anti-Revel. Revel n’était pas militant : il défendait la démocratie, la liberté, et ne se laissait pas tromper par les communiqués officiels de la Pravda, quand tout le monde célébrait le miracle soviétique, est-allemand ou bulgare, et qu'en 1976 Jacques Delors décrivait dans un mémorable Apostrophes les mérites de la République populaire de Hongrie.

Il ne se laissait pas embrigader, à la différence de Zemmour, dans l’histoire réécrite de la chute d’Allende. Et, au contraire de Zemmour, il n'a pas plus succombé au réflexe moutonnier anti-américain, quand bien même il savait fustiger la politique des Etats-unis.

Mais Revel était un libéral. Cette étiquette infamante devait lui interdire la juste reconnaissance. On s’étonne de ne pas trouver son oeuvre en librairie, à l’exception du consensuel et insipide Le Moine et le Philosophe, co-écrit avec son fils Matthieu Ricard. Tout homme cultivé devrait lire Revel : pas pour nier Zemmour, mais pour comprendre qu’une autre approche d’un déclin occidental existe, étonnamment lucide et contemporaine, soucieuse des faits et sans aucun doute plus pertinente que celle du Suicide Français.


Alain Chotil-Fani, novembre 2014


La tentation totalitaire (1976) : le livre d'un homme de gauche qui scandalisa la gauche


Quelques liens


La Pétition des fabricants de chandelles de Frédéric Bastiat : http://bastiat.org/fr/petition.html

Site consacré à Jean-François Revel : http://chezrevel.net/

Le libéralisme pour les débutants : http://www.dantou.fr/

Paris sera toujours Paris, avec Josiane Balasko et Jean-Pierre Darroussin, extrait du film Tranches de vie de François Leterrier (1985) d'après une bande dessinée de Gérard Lauzier : http://youtu.be/lrhj4hHtxFQ

Les accords de Yalta : http://mjp.univ-perp.fr/traites/1945yalta.htm

Un extrait de La tentation totalitaire de Jean-François Revel sur le coup d'Etat chilien de 1973 : http://reellerealite.perso.sfr.fr/La%20tentation%20totalitaire.htm

Apostrophes de 1976 avec Jean-François Revel,  René Andrieu et Jacques Delors : http://youtu.be/aYYMFTB5AtI

Un article sur la crise des subprimes : http://www.contrepoints.org/2013/02/26/116215-fannie-mae-et-freddie-mac-linterventionnisme-source-de-la-bulle-immobiliere


vendredi 18 novembre 2011

« Les nouveaux maîtres du monde » : une critique

Sauf à vivre en ermite, nul n’aura échappé aux multiples évocations de la banque Goldman Sachs à travers la presse depuis le début de la crise. L’homme de la rue n’a vraisemblablement pas le temps et les connaissances lui permettant de suivre les péripéties économiques auxquelles cette banque est liée. Or, depuis quelques jours, une vidéo intitulée « Les nouveaux maîtres du monde » tourne sur les réseaux sociaux. Elle parle de la banque américaine et de ses pratiques déshonorantes. On me l’a envoyée. Je l’ai regardée. Voici ma critique.



Un documentaire pour Canal+ de Jean-Luc Léon. Son titre : « Les nouveaux maîtres du monde ». Pas de point d’interrogation. L’intitulé de cette production de près de 50 minutes est révélateur : il ne s’agit pas de se poser la question de qui dirige le monde, mais de démontrer la thèse que cette administration est déjà opérationnelle, avec à sa tête Goldman Sachs.

Pourtant, la voix off du narrateur-enquêteur annonce vers la fin de la vidéo, à la minute 42 : « Sont-ils les maîtres du monde ? Non, ils sont juste les meilleurs, les meilleurs composants d’un explosif assez puissant pour faire imploser le système. ». L’alchimie d’un explosif capable d’une possible implosion est déjà risible en soi, si elle ne donnait le ton de ce long reportage brassant maintes paroles d’experts sans parvenir à en extraire une démonstration articulée. Et ce commentaire bien tardif vient à lui seul ruiner l’intitulé de la vidéo, ravalé au rang de fausse vérité. Sont-ils les maîtres du monde ? Oui, en accord avec le titre, car les informations du reportage tendent à le faire penser. Non, en contradiction avec le titre, car ce même reportage affirme explicitement l’inverse.

En réalité, cette vidéo mélange deux théories sans faire la part des choses, ce qui prive le spectateur d’une meilleure compréhension du dossier.

La première thèse est que la finance est pourrie. On ne parle pas ici de certains acteurs qui se comportent en criminels, mais bien « du système financier ». Le système est coupable de favoriser les voyous économiques, de les aider à imposer leur vision du monde, fondée sur le seul profit. Le capitalisme est en accusation, coupable d’exploiter les talents des ex-employés de Goldman Sachs pour diriger le monde. Pour le dire autrement, Goldman Sachs, plus puissant que les états, n’est que le résultat de ce « système » mauvais en soi, que l’on ne saurait réformer sans le détruire, puisque le système est devenu lui-même une émanation de Goldman Sachs. Combattre Goldman Sachs, c’est combattre l’état, militer contre le capitalisme.

La deuxième thèse est que Goldman Sachs a profité de l’absence de l’Etat pour prospérer, spéculer sans vergogne et mettre sa puissance financière au service de la corruption. Cette étreinte coupable entre le pouvoir économique et le pouvoir politique explique pourquoi la banque a pu échapper à la justice et sortira vraisemblablement indemne des charges qui pèsent sur elle. Combattre Goldman Sachs, cela passe par une réhabilitation de l’état, dont l’un des rôles est d’arbitrer les marchés et ne pas être partie prenante en vertu de la séparation des pouvoirs.

Tiraillé entre ces deux visions des choses, qu’il ne dissocie nullement au demeurant, le documentaire déçoit. On apprécie certes qu’il donne la parole à un « défenseur » de Goldman Sachs. Mais à quoi bon interroger un défenseur, sans lui poser les questions sur les pratiques spéculatives que l’on reproche à la banque ? Goldman Sachs serait à l’origine de la crise, nous dit-on ; Goldman Sachs entreposerait de l’aluminium pour faire baisser les cours : que dit la défense ? Et pourtant, si l’on tient un défenseur d’une cause, c’est bien pour lui soutirer des arguments en faveur de la cause qu’il défend, les examiner, les confronter aux faits et se faire une opinion.

Mais dans ce reportage, cette pratique est soigneusement évitée. Plutôt que d’examiner des points de vue, le journaliste blague gentiment sur la calvitie d’un interlocuteur. Est-ce pour le faire apparaître sympathique ? Quand les minutes sont comptées et le sujet si riche, la moindre des choses serait de profiter du temps imparti pour mieux informer le spectateur et non lui faire subir des blagues sans intérêt.

De même quand Pascal Canfin (député Europe Ecologie Les Verts, chose non mentionnée dans le reportage) est questionné, on aimerait voir interrogé cet élu sur ce qu’il compte faire. On peut dénoncer tant qu’on voudra les liens nauséabonds entre des hommes politiques et des organisations financières. Pourquoi pas ? On ne les flétrira jamais assez : qui ne partage pas ce sentiment de scandale ? Mais l’élu n’est pas un consommateur du café du commerce juste bon à s’indigner, pour reprendre un verbe à la mode. C’est un homme mandaté pour agir. Or de l’action politique, ici, il n’en est guère question.

L’animation de la 15e minute se veut-elle un hommage à Michael Moore ? On nous explique avec des petits personnages animés – on aurait aimé un exposé moins infantile – que des anciens de Goldman Sachs ont travaillé dans les gouvernements Clinton, Bush et Obama. Oui, mais on ne nous dit pas ce qu’ils ont effectivement réalisé. Certes, Paulson a sauvé les banques. Mais fallait-il les laisser s’effondrer ? Si on n’avait pas sauvé les banques, on aurait pu hurler à cette loi de la jungle que ce reportage dénonce avec fermeté. Mais on les a sauvées, donc on a aussi sauvé Goldman Sachs. Le piège se referme : quel que soit le choix politique, la vilenie capitaliste est mise en accusation. Une telle manière de raisonner est typiquement celle de l’idéologie : le réel n’a aucune espèce d’importance, les préjugés l’emportent.

Nous avons même droit à l’image élimée du « renard à qui l’on confie la garde du poulailler », pour souligner que certains ex-employés de Goldman Sachs ont été nommés à des rôles de gendarmes du marché. Au-delà de la formule, que s’est-il passé ? Ces personnes ont-elles réalisé leur mission ? Ont-elles failli ? Goldman Sachs a-t-il bénéficié d’un traitement de faveur ? On le ne saura pas. Le documentaire ne dit rien à ce sujet, quand son rôle est de présenter des faits. L’annonce de cette nomination suffit, semble-t-il, à discréditer l’ensemble du système financier. Quant à nommer un ex-banquier à un poste de régulation, on ne voit pas ce qui choque a priori : plutôt faire appel aux gens qui connaissent les dessous des affaires et les trucs du métier, qu’à des novices que l’on bernerait dans toutes les largeurs. Mais M. Léon ne nous dit pas quel genre d’animal il verrait pour protéger le poulailler, à moins qu’il n’emploie la métaphore animalière que pour désigner des individus qui lui déplaisent, suivant en cela une certaine pratique éprouvée du XXe siècle.

« Leur état d’esprit s’étend sur la planète tout entière », poursuit le commentaire avec effroi, alors que la Terre est recouverte de petites fourmis sortant en masse du repaire nord-américain. Et d’annoncer la liste des républiques bananières sous la coupe des anciens de la vilaine banque : le Canada, le Royaume-Uni, l’Union Européenne, le Nigéria. Et après ? Avec quelles conséquences ? On ne sait pas. Que des grands professionnels de la finance aient été employés par l’une des plus importantes banques, plutôt que par la Caisse d’Epargne du coin de ma rue, n’est un motif de surprise que pour les naïfs. Que certains d’entre eux se tournent vers la politique et se voient confier des responsabilités dans des gouvernements n’est pas non plus en soi cause de scandale. Ce qui serait scandaleux est que ces personnes continuent de servir Goldman Sachs en profitant de leur statut d’homme politique, au lieu d’accomplir leur mission publique.

Or de cela, nous ne saurons rien. Encore une fois le documentaire invite à extrapoler au lieu de présenter les faits. Si Mark Carney, en tant que gouverneur de la Banque du Canada, a cherché à « détruire l’économie », chose « plus rentable que de la soutenir », comme il est dit dans ce documentaire ; si M. Carney a versé des prébendes à son ancien employeur ; si M. Carney a spéculé contre l'aluminium ; si M. Carney a tissé des liens occultes avec un réseau formé d’autres dirigeants issus de Goldman Sachs ; si M. Carney, enfin, a manœuvré de manière à conforter Goldman Sachs dans son rôle de Maître du Monde, que cela soit annoncé sans détour. J’apprécierais que l’on me présente, soit des faits, soit des faisceaux d’hypothèses convergeant dans cette même direction, pour que je me fasse un avis éclairé. Or, rien n’est dit ici, sinon « Mark Carney, ancien de Goldman Sachs, est devenu gouverneur de la Banque du Canada. » Point. C’est tout. Cela est censé être le scandale.

A quoi bon continuer, parler de certains détails gênants - simulations d’applaudissements, conversation téléphonique reconstituée, accompagnement sonore tendancieux, sous-entendus d’un complot planétaire… ? L’exercice est inutile. Le documentaire donne la parole à des intervenants qui s’inscrivent dans deux familles de pensées opposées, sans même commencer à les ordonner, ajoutant ainsi plus de confusion que de lumière sur une affaire complexe. Il est intéressant de noter que le mouvement des Indignés new-yorkais procède de la même duplicité : alors que certains veulent mettre à bas le capitalisme, d’autres réclament une implication plus forte d’un l’état libéral affranchi des pressions financières.

A titre d’exemple, la déclaration du sénateur de Delaware, Ted Kaufman, à la minute 23. Son témoignage sur la relaxe de Goldman Sachs est du plus haut intérêt : la banque a pu procéder à des pratiques de voyou à partir du moment où le FBI s’est occupé de la lutte anti-terroriste, plutôt que du combat contre la délinquance financière. Si cette hypothèse était vraie, elle confirmerait admirablement la thèse de ceux qui déplorent la faillite de l’état dans ce domaine. Dès que les autorités baissent la garde, les pratiques scandaleuses apparaissent. Dommage que le documentaire n’ait pas su – ou voulu - exploiter ce filon fertile.