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jeudi 30 décembre 2021

Zemmour au fil des jours - 30 décembre 2021

 30/12/2021

Suite (et fin ?) de la mini-tempête autour de Mila et de Zemmour. La jeune femme publie hier en fin d'après-midi le communiqué suivant :

Communiqué de Mila sur Twitter
Communiqué de Mila sur Twitter (lien)

Dont acte. Réactions consternées autant qu'affligeantes de plusieurs partisans de Zemmour, dépités de voir cette victime de l'islamisme rejeter leur mentor. Quelques-uns, plus mesurés, notent que les termes de fascisme et d'extrême droite ne tombent pas à propos. Car enfin, Zemmour est-il fasciste ?

Cette question est abordée par Gérard Biard dans le Charlie Hebdo daté d'hier : « [Zemmour] nous rappelle ce qu’est l’extrême droite. Ce qu’elle est vraiment. Car à force de traiter tout le monde et n’importe qui de "fasciste", on l’avait quelque peu oublié. »

Certes ! On est heureux de trouver un tel scrupule dans ce journal où ce qualificatif de « fasciste » est employé sans grand discernement (voir l'entrée du 11 novembre). Mais c'est le cas pour la quasi-totalité des articles de presse, convenons-en.

Quels sont donc ces éléments qui classent sans contredit un candidat à l'extrême droite ? Il suffit de se souvenir des violences commises au rassemblement de Villepinte :

« À l’extrême droite, on pète des dents, des bras, des genoux, et bien davantage si on se laisse emporter par la ferveur militante. Certes, dans certains groupes d’extrême gauche, on ne crache pas non plus sur une bonne castagne "antifasciste". Mais la violence n’y constitue pas la seule composante du débat, contrairement à l’extrême droite, où on la retrouve à tous les niveaux, chez le skinhead de base comme chez le théoricien. Elle n’est pas vue comme un moyen, mais comme une fin en soi. »

L'auteur a mille fois raison de souligner les agissements intolérables de certains soutiens du candidat. Le problème est réel. La condamnation sans appel de Zemmour ne suffit pas à faire taire l'odieuse petite musique d'une agressivité assumée au nom du candidat.

Je suis cependant étonné par le choix des mots. La castagne d'extrême gauche évoque des bagarres bon enfant de fin de kermesse. Quand l'extrême droite cogne, ce n'est plus une « castagne » mais la volonté de péter des dents, des bras, des genoux, et bien davantage. La distinction laisse perplexe. Je ne saisis pas pourquoi je devrais me féliciter d'être passé à tabac par un black bloc de gauche, dont l'actualité nous a trop souvent rappelé la furie hargneuse, plutôt que par un « identitaire » au crâne rasé. Quant à la violence, elle est également théorisée à tous les niveaux de la gauche totalitaire, comme l'histoire nous l'enseigne depuis plusieurs décennies.

Il manque à cet article un développement essentiel : la violence est-elle intimement corrélée au discours de Zemmour ? En quoi ? Ce ne sont pas des questions rhétoriques. Le journaliste termine ainsi :

« Toujours avoir en tête que le cœur du programme de l’extrême droite, c’est la barre à mine et la batte de base-ball. Le plus important chez Zemmour, ce n’est pas son discours ou ses nouvelles lunettes, mais ce qui se passe au fond de la salle. »

Cette conclusion est riche d'enseignements : il faudrait juger un candidat aux échauffourées qui surviennent lors de ses apparitions publiques. C'est vite dit, et dangereux, car cette pratique expéditive fait l'économie d'un examen de la situation concrète. Supposons que des amoureux de la liberté brandissent lors d'un meeting de Mélenchon Le livre noir du communisme. Imagine-t-on un instant les partisans de LFI accueillir avec bonhomie cette intrusion ? Les coups de poing et autres brutalités qui s'ensuivraient classeraient-ils Mélenchon à l'extrême droite ? Il est vrai que pour certains il ne s'agirait que d'une sympathique « castagne » : nous voilà rassurés.

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jeudi 11 novembre 2021

Zemmour au fil des jours - 11 novembre 2021

11/11/2021

Zemmour est-il fasciste ? Je découvre l'éditorial de Riss, "D'un Zemmour l'autre", dans le Charlie Hebdo du 3 novembre dernier. Riss n'est pas seulement un excellent analyste, c'est aussi un homme courageux qui mérite le respect de tous les hommes attachés à la liberté.

Éditorial de Riss : D'un Zemmour l'autre (c) Charlie Hebdo, 3 novembre 2021
Éditorial de Riss : D'un Zemmour l'autre (c) Charlie Hebdo, 3 novembre 2021. Lien

Pour répondre à cette question, Riss met en exergue la pratique révisionniste de l'histoire, explique que Zemmour s'en est fait un chantre pour ce qui touche notamment à la période de l'Occupation, et estime en définitive que l'homme, en utilisant de tels procédés, "répond alors parfaitement aux critères de la pensée fasciste." Ce raisonnement s'achève par une conclusion nuancée : "La question de savoir si Zemmour est un fasciste n’est alors plus aussi incongrue qu’on pouvait le penser au départ."

Ces derniers mots doivent en laisser plus d'un perplexe, car l'on trouve bien des commentaires, dans des journaux moins "stylés" que Charlie, qui ne s'encombrent pas de telles précautions. Pour eux, comme pour la majorité des opposants à Zemmour, la question de son fascisme n'est pas du tout incongrue, elle est tranchée depuis longtemps et ne saurait souffrir la moindre mise en cause.

Cela étant dit j'ai sursauté à plusieurs reprises en lisant cet édito. Riss introduit son discours de la façon suivante : "Il y a à l’extrême droite une caractéristique qu’on ne retrouve quasiment jamais ni à gauche ni dans la droite classique. C’est le révisionnisme."

Puis, il définit ainsi le révisionnisme : "il ne s’agit pas de cette démarche qui consiste pour tout historien à se poser des questions qui peuvent l’amener à « revoir » certaines interprétations d’épisodes historiques à la lumière de découvertes nouvelles. Non, le « révisionnisme », au sens où il est pratiqué par l’extrême droite, consiste à écrire une autre Histoire, en contradiction totale avec les recherches historiques connues".

Le révisionnisme est donc un crime contre la pensée, puisqu'il vise à falsifier la vérité afin de servir une idéologie. Bien. Dès lors, on se demande comment qualifier l'attitude pratiquée par le parti communiste depuis plus d'un siècle, quand il se refuse à reconnaître la cruelle répression des Ukrainiens sous Staline et sa sordide sœur de sang, la grande famine appelée Holodomor, si longtemps oubliées de l'histoire ; le mensonge qui entoura des décennies durant le massacre de Katyń, les carnages de Mao, Castro, Brejnev et de leur clique, et tant d'autres crimes contre l'humanité si abasourdissants que la raison échoue à se les figurer. Les remises au pas de Budapest et de Prague ont été célébrées comme des opérations anti-fascistes. Pourtant, il ne viendrait à l'esprit de personne d'employer ici le mot de révisionnisme pour désigner la propagande qui voulait occulter ces outrages au genre humain.

Nous sommes ici devant un piège sémantique. Pour ces événements aujourd'hui bien décrits par les historiens, à défaut d'être bien connus, nulle "réécriture de l'histoire", mais falsification de l'actualité, au moment même de sa survenance. Le mensonge est noué avec la genèse des faits. La construction de l'histoire est révisionniste, négationniste, ou ce que l'on voudra, car fondée sur la volonté délibérée de travestir la réalité en tant que phénomène observable. Une lecture, ou une relecture, de l'Aveuglement de Christian Jelen - qui n'était pas réputé pour ses sympathies fascistes - nous permettrait, au besoin, de nous en souvenir. Pour le dire autrement, le "révisionnisme de droite" est la déformation d'un passé pourtant bien documenté, alors que le "révisionnisme communiste" est la déformation du présent, qui devient une histoire mal documentée - et, dans bien des cas, présentée dans cette version altérée par des historiens malhonnêtes, lâches ou aveugles.

C'est pourquoi Riss a raison d'écrire que le "révisionnisme" est "pratiqué par l'extrême droite". Le mot et la position politique sont intimement liés, quand bien même il s'agit d'une profonde injustice. Mais il n'a raison qu'en partie. Quand Mélenchon déplore "l'annexion" de la RDA par l'Allemagne de l'Ouest, est-il d'extrême droite ? Françoise Héritier, défendant la thèse stupide d'une différence de taille entre les hommes et les femmes due à une construction sociale, est-elle d'extrême droite ? Ceux qui avancent que  la cinquième symphonie de Beethoven est une marque historique d'exclusion et d'élitisme au détriment des femmes, des LGBTQ+ et des personnes de couleur relèvent-ils de l'ultra-droite ? La revisitation de l'histoire qui fait de Churchill un raciste qu'il faut gommer de nos mémoires est-elle professée par des émules de Mussolini ?

Je me permettrai donc de ne pas suivre le chroniqueur pour qui les pratiques révisionnistes signent le fascisme, sauf à considérer que Mélenchon, Héritier, Black Lives Matter, etc., sont des fascistes (au sens de l'éditorial : posture d'extrême droite ; sinon, la question se pose, effectivement). Je ne le suis pas non plus quand il écrit : "Après la Seconde Guerre mondiale, seuls les partis politiques qui avaient combattu dans la Résistance étaient légitimes pour participer à la vie politique, excluant l’extrême droite, qui fut trop proche de Vichy et de l’occupant." Je trouve cette analyse incomplète. Le PCF a été l'allié des Nazis jusqu'au jour où Hitler attaqua l'URSS. Le sujet est bien documenté (chacun connaît, ou devrait connaître, Le passé d'une illusion, de François Furet, voir aussi cet article parmi tant d'autres). Le renversement d'alliance ne se produisit pas pour des raisons de divergences idéologiques. Pourtant, on trouve des communistes dans le gouvernement de la Libération.

C'est pourquoi il me paraît important d'apporter une nuance de taille à ce passage de l'éditorialiste : "Ces théories, qui disent tout le contraire de ce que les historiens sérieux ont démontré, sont typiques de l’extrême droite qui, depuis 1945 et les sentences du procès de Nuremberg, répète jusqu’à la nausée que l’Histoire est toujours écrite par les vainqueurs, laissant entendre qu’une autre Histoire pourrait être racontée, dont l’objectif est en réalité de réhabiliter son idéologie fasciste." Il n'est pas besoin de vouloir réhabiliter une telle idéologie pour, en effet, estimer que l'histoire, hélas, a bien été écrite par les vainqueurs, et que Nuremberg a perpétué le mythe du communisme ami de l'humanité. Cette illusion encore tenace a été aggravée par l'absence de procès de cette idéologie dans les années 1990. Oui, une autre histoire est possible, et serait à mon avis nécessaire pour enfin rendre justice à la mémoire des peuples d'Europe centrale et d'ailleurs si longtemps opprimés par le grand frère soviétique ou ses cousins orientaux, africains ou latino-américains.

Et Zemmour dans tout ça ? Je suis prêt à entendre qu'il est fasciste - j'ai déjà formulé, me semble-t-il, assez de réserves sur les idées qu'il exprime pour que l'on me prenne au mot. Toutefois les éléments ne me paraissent pas suffisants pour sauter le pas. S'il pose la question de l'innocence de Dreyfus, c'est dans sa volonté de comprendre, dans le contexte de l'époque, la détermination de ne pas affaiblir une France en quête de revanche militaire (je pense que la France s'est au contraire grandie d'avoir réhabilité Dreyfus). Son opinion sur Pétain rejoint celle de Français de l'après-guerre, qui n'étaient pas tous des collabos ou des admirateurs de Rebatet. Il ne m'apparaît pas scandaleux de la défendre : dans ses mémoires Le Voleur dans la maison vide Jean-François Revel raconte avec esprit la passion que mettait le Colonel Rémy à défendre "la droiture" du maréchal Pétain, car "L'objectif final [de De Gaulle et de Pétain] était le même que le nôtre : il s’appelait la libération de la France". Si l'on considère que le Colonel Rémy, compagnon de la Libération et gaulliste de la première heure, était un fasciste, alors les mots n'ont plus de sens.

Il y a donc urgence, si l'on veut continuer à employer ce qualificatif à bon escient, de définir enfin ce qui singularise le fascisme - et en cela l'édito de Riss, bienvenu mais imprécis, ne nous est d'aucune aide.

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samedi 16 octobre 2021

Zemmour au fil des jours - 16 octobre 2021

16/10/2021

Deux commémorations parallèles et que la folie ambiante, pour notre plus grande affliction, risque de considérer comme vouées à des causes opposées. Une cérémonie s'est tenue en hommage à Samuel Paty, ce professeur décapité il y a un an par un islamiste. Un monument en forme de livre a été dévoilé à Conflans-Sainte-Honorine, une plaque a été inaugurée au ministère de l'Éducation nationale, un square portera son nom près de la Sorbonne. Samuel Paty envisageait de montrer des caricatures de Mahomet à ses élèves. Ces caricatures, qui avaient poussé d'autres islamistes à faire un carnage à Charlie Hebdo, avaient été publiées au départ dans une revue danoise. À cette époque, l'Europe s'interrogeait encore sur la possibilité de se moquer de l'islam comme on le faisait du catholicisme, en réponse à l'assassinat de Theo Van Gogh par un fou d'Allah, déjà. Van Gogh avait réalisé un film critiquant la place laissée aux femmes dans le monde arabo-musulman, en collaboration avec Ayaan Hirsi Ali, qui avait fui le monde musulman et décrit, dans son livre Insoumise, l'incompatibilité essentielle entre les textes fondateurs de l'islam et la société libre occidentale. Il faut se souvenir de cette longue et sanglante filiation pour revenir au tout début de la catastrophe actuelle : l'idée qu’islam et islamisme ne sont pas fondamentalement différents. Zemmour ne dit pas autre chose, et l'on se souvient que Philippe Val, Bernard-Henri Lévy et Alain Finkielkraut avaient alors milité pour que cette femme fuyant l'horreur soit accueillie en France.

L'autre commémoration ravive la mémoire d'un massacre perpétué à Paris contre des manifestants rassemblés par le FLN. Le Monde : "Massacre du 17 octobre 1961 : Emmanuel Macron dénonce « des crimes inexcusables », « commis sous l’autorité de Maurice Papon »". C'est la première fois que l'Élysée prend pareille initiative, et on ne m'enlèvera pas de la tête que cet acte officiel ne doit rien au hasard. L'Algérie, Papon, l'islam, tous les ingrédients sont là pour faire surgir le diable Zemmour de sa boîte et l'inciter à proférer de nouvelles paroles "inacceptables". La manœuvre est limpide et pose une nouvelle fois Macron en homme courageux, humaniste et lucide, face au tenant d'un discours "rance", "rabougri", "étriqué" et, naturellement, "raciste". Le président enfonce encore davantage le coin entre l'électorat "attaché aux valeurs de la République" et celui des "extrémistes", en appuyant sur la position de Zemmour décidément infréquentable. Cela dit, il est délicat d'appréhender sereinement le drame du 17 octobre 1961 étant donné que les historiens les plus cités sur le sujet sont des communistes, et l'on sait l'emprise de cette idéologie sur le récit historique (et cela est tout aussi vrai au sujet de Pétain). Une vision historique qu'il est nécessaire de questionner, tout comme celle de leurs opposants d'extrême droite, bien évidemment ; toutefois, si le cordon sanitaire semble solidement établi à la droite de la droite, je ne vois rien de tel du côté de la gauche marxiste.

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mardi 12 octobre 2021

Zemmour au fil des jours - 12 octobre 2021

12/10/2021

Deux articles viennent analyser le discours de Zemmour sous l'angle de sa judéité.

BHL – Ce que Zemmour fait au nom juif (Bernard-Henri Lévy, Le Point)

Zemmour ou comment un Juif peut incarner l’extrême droite (Guillaume Erner, Charlie Hebdo)

J'avoue être gêné par cette approche. Je n'accorde aucune importance au fait que Zemmour soit juif. Ce point m'indiffère à un tel point qu'un blanc perplexe envahit un instant mon esprit quand j'entends le journaliste ramené à la religion de ses ancêtres. Comment un Juif peut-il incarner l'extrême droite ? s'interroge Charlie Hebdo. Avant toute chose il me paraît de la plus cruciale importance de faire préciser deux choses, l'une à la suite de l'autre, pour rendre le débat possible : la première, qu'est-ce que l'extrême droite ? La seconde, quels sont les éléments qui, dans le discours de Zemmour, ressortent de cet extrémisme ?

Ce ne sont pas des questions rhétoriques. Si l'on considère que donner aux nouveaux-nés des prénoms du calendrier est d'extrême droite, alors il faudra admettre que tous les dirigeants de la France pendant le XIXe siècle et la majeure partie du XXe ont conservé une mesure d'extrême droite. À ce titre-là, l'extrême droite est partout, de tous les bords, de toutes les époques. Le flou dans lequel on maintient ce courant de pensée sert à brandir l'anathème et à étiqueter ceux dont les idées nous offusquent. Ténébreuses méthodes qui rendent le monde plus inintelligible encore. Et jeu dangereux : à force de diluer le fascisme et le nazisme dans la grande marmite commune, on sera infichu de les reconnaître quand ils seront de nouveau là (et il n'est pas impossible, hélas, qu'ils soient bel et bien là, sous de nouveaux atours et sans que Zemmour y soit pour grand-chose).

Bien sûr, il y a le cas Pétain. Charlie Hebdo note, effaré, que Zemmour cite Pierre Messmer au procès Papon : « Quel que soit le respect que nous devons à toutes les victimes de la guerre, et particulièrement aux victimes innocentes, ces femmes, ces enfants, ces vieillards, je respecte plus encore celles qui sont mortes debout et les armes à la main, car c’est à eux que nous devons notre libération. » L'hebdomadaire ajoute : « Manière policée de dire que les Juifs sont des victimes de seconde zone… » et, dans sa conclusion : « Si un juif peut défendre Pétain, cela veut dire que la volonté, en matière d’identité peut tout. »

La déclaration de Pierre Messmer peut nous heurter, elle n'en reste pas moins une déclaration de Pierre Messmer, héros de la Libération. Zemmour se reconnaît en elle : c'est son droit. Je n'ai aucune idée de sa façon de vivre sa judaïté, mais pas le moindre doute sur ses affinités spirituelles avec un certain gaullisme, et c'est bien ce dernier trait qui me paraît guider sa pensée. Cette phrase fait-elle de Messmer un fasciste ? Un nazi ? Non. Nous aimerions savoir ce que dit Charlie Hebdo sur ce point précis : l'un des plus célèbres résistants était-il devenu sur le tard un défenseur de cette pensée totalitaire qu'il avait tant combattue ? Une fois devenu nazi, ou fasciste, aurait-il laissé son nouveau combat intellectuel aux mains de Zemmour ?

Il est possible de considérer que Pétain fut moins cruel, moins meurtrier, qu'un Reinhard Heydrich - toutes les archives à notre disposition nous poussent à le penser. Dire cela n'est pas défendre Pétain, mais énoncer des faits. Zemmour, semble-t-il, inscrit son discours dans une discussion sur une question historique, celle de la volonté délibérée de protéger les Juifs français en livrant les Juifs étrangers. Cela est peut-être vrai, cela est peut-être faux, mais nous devrions être capables de dépasser les positions de principe qui rendent impossible la moindre discussion. On rêve d'une analyse historique qui ne soit pas ligotée par les oukases du moment. Faire de Pétain un diable est bien commode, mais cela n'encourage en rien une meilleure compréhension du monde. Ceux qui ont intérêt à brouiller les cartes se frottent les mains.

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dimanche 10 octobre 2021

Zemmour au fil des jours - 10 octobre 2021

10/10/2021

La présence de Zemmour dans l'actualité ne mollit pas. En Corse, le passage de l'écrivain a provoqué bagarres et vociférations. Je ne l'ai pas entendu revenir sur sa défense des gens qui, dans l'île, avaient combattu les apparitions de burkinis, il y a quelques années. En revanche, il a parlé de Napoléon (pas un mot sur Pascal Paoli, qui s'était tourné vers l'ennemi anglais), de l'attitude des Corses pendant la dernière guerre, d'Astérix en Corse (rien sur Mérimée, Maupassant ou Henri Tomasi) et souligné le rôle délétère de l'Europe qui encourage à l'en croire les mouvances régionalistes pour mieux affaiblir les États.

Chaque jour son indignation. La saillie d'un humoriste professionnel jusque-là inconnu, Gaëtan Matis, provoque une petite tempête : "Si j’avais une machine à voyager dans le temps, je m’amuserais à booker la salle du Bataclan pour la soirée du 13 novembre et j’y organiserais une soirée de rencontre entre Éric Zemmour et son public." Peinture au gros rouleau (ce n'est pas Matis der maler), de mauvais goût et révélatrice d'un certain état d'esprit. L'élimination violente des personnes que l'on déteste est un poncif dans certains milieux - on se souvient que Ruquier avait suggéré que Trump soit baladé en décapotable à Dallas, suivez mon regard et regardez-moi pouffer. Rien, cependant, qui ne déroge à mon sens au mauvais goût bête et méchant de l'ancien Charlie Hebdo, ou mieux, du Hara Kiri de la grande époque. Choquant, stupide, tout ce qu'on voudra, mais vraisemblablement pas hors-la-loi. Motif supplémentaire de consternation, je dois être le seul à avoir été choqué par l'emploi du verbe "booker" à la place de "réserver", ce qui n'améliore en rien l'image que je me fais d'un plaisantin de métier encore inconnu il y a quelques heures.

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jeudi 3 novembre 2011

Les deux jeunes hommes et les incendiaires

Me promenant début novembre dans la cité des Rouges-gorges, je rencontrai Omar. Eh, l’ami ! lui dis-je. C’est justement toi que je cherchais, car il semble que tu aies été le témoin d’une conversation entre Rachid et Mustapha au sujet de l’incendie de Charlie-Hebdo, et je voulais savoir sur quoi avaient roulé les propos. Omar feignait à son habitude de ne point savoir de quoi je voulais parler, mettant dans cette réticence un prétexte à se faire prier. Puis il commença son récit en l'animant d'une ferveur sincère.


Rachid : Ainsi donc on a mis le feu à Charlie-Hebdo. Tu dois te réjouir, toi qui apprécies les mécréants, de cette publicité inespérée dont bénéficiera cette feuille de chou imbécile.

Mustapha : Ne soit pas cynique. Je n'aime pas que l'on se moque de ma religion, mais je pense être assez civilisé pour discerner ce qui relève de la satire des extrémistes plutôt que de la mise en boîte des simples fidèles. Il me semble que ce journal brocarde, à juste titre, ceux qui nuisent à notre foi. Nous les connaissons que trop bien, avec les multiples manifestations de leur obscurantisme, que l'on nomme Al-Quaida, charia, wahhabisme et tant d'autres. Ces gens-là ne peuvent s'accommoder de la liberté, parce que la liberté c'est aussi celle de ne pas entrer dans leur folie. Charlie-Hebdo en a été la victime.

Rachid : Tu vas un peu vite en besogne. Tout d'abord, l'enquête commence. Qu'il est commode de tout mettre sur le dos de nos frères de foi ! Je verrais bien dans cet attentat l’œuvre de provocateurs plutôt que de croyants. Qui a intérêt à faire passer l'Islam pour intolérant dans ce pays ? Réfléchis deux secondes et tu auras une belle liste de suspects. Ce ne sont pas les islamophobes qui manquent ici bas.

Mustapha : J'avoue ne pas saisir ce concept d'islamophobie. Critiquer l'islam est licite en France, comme dans tous les pays civilisés, n'est-ce pas ? Quant à vouloir nuire au message du Prophète, il est évident que les auteurs d'attentats se revendiquant de notre propre religion y parviennent avec une efficacité sans précédent. S'il existe des islamophobes, ce sont eux, et non les dessinateurs de Charlie.

Rachid : Tu persistes à imaginer que des musulmans sont les responsables de l'attentat. L'enquête est en cours, je le rappelle.

Mustapha : Tu as raison. Il n'empêche que la réaction de ceux qui nous représentent, ou qui se réclament de notre confession, nous rendent souvent complices objectifs de ce qui s'est passé. Lis la presse, Facebook, les commentaires des journaux en ligne. Je résume le discours : "c'est regrettable, mais ce journal ne l'a pas volé".

Rachid : Ce qui est la stricte vérité cependant. On n'insulte pas impunément un milliard de musulmans sans en supporter les conséquences. Or, dessiner le Prophète est un sacrilège. On pouvait l'ignorer dans ce pays, je l'admets, il y a quelques années encore. Mais le procès des caricatures aurait dû servir d'enseignement et éclairer les mécréants sur nos tabous. Il n'en ont pas tenu compte. Ce qui s'est passé est d'une logique imparable.

Mustapha : Ainsi donc tu préfères un salaud islamiste à un mécréant innocent ?

Rachid : Je crois en la communauté des croyants. L'Oumma réunit ceux qui ont embrassé la foi du Prophète. A ce titre, nous nous devons solidarité naturelle. Cette communauté nous donne une force sans égale. Le juste puissance de ceux qui ont choisi le chemin droit.

Mustapha : Permets-moi de ne pas te suivre sur ce terrain. Tout d'abord, ceux qui tuent des musulmans sont, hélas ! trop souvent des musulmans aussi. Quelle unité faut-il pour compter les morts ? La centaine de milliers, le million ? N'oublions pas ce qui s'est passé entre l'Iran et l'Irak, puis entre l'Irak et le Koweit ; les massacres en Syrie avec la ville de Hama pilonnée dans les années 1980 ; un certain mois de septembre en Jordanie, et les brimades quotidiennes subies de Jakarta à Rabat tous les jours que Dieu fait parmi tant d’autres affronts encore. La belle communauté que voilà ! Le chemin est peut-être droit, mais jusqu'à l'abattoir. Notre famille de pensée porte le massacre comme la nuée porte l'orage.

Rachid : Tu te crois sans doute fin en paraphrasant Jaurès. Fin et dans l'erreur. Ouvre les yeux. Nos propres batailles sont fomentées par les occidentaux. Qui a vendu des armes à Saddam ? Hafez el-Assad n'était-il pas un excellent client de Dassault ? Et Kadhafi même faisait miroiter l'issue d'un juteux contrat négocié par Sarko. Qu'il est aisé de donner des leçons quand on renonce à toute exemplarité !

Mustapha : Néanmoins, bien des nations sont armées sans posséder ce besoin farouche et jamais assouvi d'exterminer les peuples autochtones ou voisins. Je maintiens que cette lubie mortifère trouve sa trace dans un obscurantisme religieux dont on ne saurait exonérer l'Islam.

Rachid : Bien, avec de telles déclarations il ne te manque plus qu'à te déclarer apostat. On se demande bien pourquoi persistes à te réclamer d'une religion que tu juges si exécrable.

Mustapha : Pourquoi ? Parce qu’elle est aussi merveilleuse. Nulle contrainte en religion : je prends le meilleur et combats le reste. Je me garde de la tentation obscurantiste pour mieux cultiver sa tradition pacifique.

Rachid : Impossible. L'Islam est un tout.

Mustapha : Je te prends à ton tour à paraphraser Clemenceau. Non, mon ami. L'Islam ne peut pas être un tout ; ou alors, nous sommes tous perdus.

Dès lors, les deux amis ne dirent plus rien, et au bout d’un moment il se levèrent et rentrèrent chez eux, dit Omar. Ce dernier, comme à l’ordinaire après avoir assisté à une telle discussion, s’en fut prendre l’air à travers la cité des Rouges-gorges.