jeudi 3 novembre 2011

Les deux jeunes hommes et les incendiaires

Me promenant début novembre dans la cité des Rouges-gorges, je rencontrai Omar. Eh, l’ami ! lui dis-je. C’est justement toi que je cherchais, car il semble que tu aies été le témoin d’une conversation entre Rachid et Mustapha au sujet de l’incendie de Charlie-Hebdo, et je voulais savoir sur quoi avaient roulé les propos. Omar feignait à son habitude de ne point savoir de quoi je voulais parler, mettant dans cette réticence un prétexte à se faire prier. Puis il commença son récit en l'animant d'une ferveur sincère.


Rachid : Ainsi donc on a mis le feu à Charlie-Hebdo. Tu dois te réjouir, toi qui apprécies les mécréants, de cette publicité inespérée dont bénéficiera cette feuille de chou imbécile.

Mustapha : Ne soit pas cynique. Je n'aime pas que l'on se moque de ma religion, mais je pense être assez civilisé pour discerner ce qui relève de la satire des extrémistes plutôt que de la mise en boîte des simples fidèles. Il me semble que ce journal brocarde, à juste titre, ceux qui nuisent à notre foi. Nous les connaissons que trop bien, avec les multiples manifestations de leur obscurantisme, que l'on nomme Al-Quaida, charia, wahhabisme et tant d'autres. Ces gens-là ne peuvent s'accommoder de la liberté, parce que la liberté c'est aussi celle de ne pas entrer dans leur folie. Charlie-Hebdo en a été la victime.

Rachid : Tu vas un peu vite en besogne. Tout d'abord, l'enquête commence. Qu'il est commode de tout mettre sur le dos de nos frères de foi ! Je verrais bien dans cet attentat l’œuvre de provocateurs plutôt que de croyants. Qui a intérêt à faire passer l'Islam pour intolérant dans ce pays ? Réfléchis deux secondes et tu auras une belle liste de suspects. Ce ne sont pas les islamophobes qui manquent ici bas.

Mustapha : J'avoue ne pas saisir ce concept d'islamophobie. Critiquer l'islam est licite en France, comme dans tous les pays civilisés, n'est-ce pas ? Quant à vouloir nuire au message du Prophète, il est évident que les auteurs d'attentats se revendiquant de notre propre religion y parviennent avec une efficacité sans précédent. S'il existe des islamophobes, ce sont eux, et non les dessinateurs de Charlie.

Rachid : Tu persistes à imaginer que des musulmans sont les responsables de l'attentat. L'enquête est en cours, je le rappelle.

Mustapha : Tu as raison. Il n'empêche que la réaction de ceux qui nous représentent, ou qui se réclament de notre confession, nous rendent souvent complices objectifs de ce qui s'est passé. Lis la presse, Facebook, les commentaires des journaux en ligne. Je résume le discours : "c'est regrettable, mais ce journal ne l'a pas volé".

Rachid : Ce qui est la stricte vérité cependant. On n'insulte pas impunément un milliard de musulmans sans en supporter les conséquences. Or, dessiner le Prophète est un sacrilège. On pouvait l'ignorer dans ce pays, je l'admets, il y a quelques années encore. Mais le procès des caricatures aurait dû servir d'enseignement et éclairer les mécréants sur nos tabous. Il n'en ont pas tenu compte. Ce qui s'est passé est d'une logique imparable.

Mustapha : Ainsi donc tu préfères un salaud islamiste à un mécréant innocent ?

Rachid : Je crois en la communauté des croyants. L'Oumma réunit ceux qui ont embrassé la foi du Prophète. A ce titre, nous nous devons solidarité naturelle. Cette communauté nous donne une force sans égale. Le juste puissance de ceux qui ont choisi le chemin droit.

Mustapha : Permets-moi de ne pas te suivre sur ce terrain. Tout d'abord, ceux qui tuent des musulmans sont, hélas ! trop souvent des musulmans aussi. Quelle unité faut-il pour compter les morts ? La centaine de milliers, le million ? N'oublions pas ce qui s'est passé entre l'Iran et l'Irak, puis entre l'Irak et le Koweit ; les massacres en Syrie avec la ville de Hama pilonnée dans les années 1980 ; un certain mois de septembre en Jordanie, et les brimades quotidiennes subies de Jakarta à Rabat tous les jours que Dieu fait parmi tant d’autres affronts encore. La belle communauté que voilà ! Le chemin est peut-être droit, mais jusqu'à l'abattoir. Notre famille de pensée porte le massacre comme la nuée porte l'orage.

Rachid : Tu te crois sans doute fin en paraphrasant Jaurès. Fin et dans l'erreur. Ouvre les yeux. Nos propres batailles sont fomentées par les occidentaux. Qui a vendu des armes à Saddam ? Hafez el-Assad n'était-il pas un excellent client de Dassault ? Et Kadhafi même faisait miroiter l'issue d'un juteux contrat négocié par Sarko. Qu'il est aisé de donner des leçons quand on renonce à toute exemplarité !

Mustapha : Néanmoins, bien des nations sont armées sans posséder ce besoin farouche et jamais assouvi d'exterminer les peuples autochtones ou voisins. Je maintiens que cette lubie mortifère trouve sa trace dans un obscurantisme religieux dont on ne saurait exonérer l'Islam.

Rachid : Bien, avec de telles déclarations il ne te manque plus qu'à te déclarer apostat. On se demande bien pourquoi persistes à te réclamer d'une religion que tu juges si exécrable.

Mustapha : Pourquoi ? Parce qu’elle est aussi merveilleuse. Nulle contrainte en religion : je prends le meilleur et combats le reste. Je me garde de la tentation obscurantiste pour mieux cultiver sa tradition pacifique.

Rachid : Impossible. L'Islam est un tout.

Mustapha : Je te prends à ton tour à paraphraser Clemenceau. Non, mon ami. L'Islam ne peut pas être un tout ; ou alors, nous sommes tous perdus.

Dès lors, les deux amis ne dirent plus rien, et au bout d’un moment il se levèrent et rentrèrent chez eux, dit Omar. Ce dernier, comme à l’ordinaire après avoir assisté à une telle discussion, s’en fut prendre l’air à travers la cité des Rouges-gorges.

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