dimanche 15 août 2010

Coluche, idole des beaufs

Misère ! Misère ! Pourquoi l’image de Coluche, cet ancien ami très cher, réussit à ce point à agacer ? C’étaient donc ça, les sketches qui faisaient tant rire ? Je souffre en les réécoutant. A part deux ou trois qui tiennent encore la route, tout le charme s’est envolé, peut-être bien parce que, bien souvent, ce ne sont pas de véritables sketches, mais des enfilades de mots, plus ou moins bons, dont seule l’accumulation donne l’apparence de qualité. Je regarde ses anciens spectacles. Ils sonnent creux, même les rires semblent enregistrés. Hélas pour l’affectueux souvenir de l’homme qui réussit à faire rire les Français d’eux-mêmes

1981, l’année où Coluche commence à ne plus être drôle. Sa profession de foi pour les Présidentielles finit par ces mots : « tous ensemble pour leur foutre au cul ». Le langage ordurier de cette époque est souvent justifié par la volonté de provoquer coûte que coûte une société sclérosée. Heurter pour décoincer. Charlie Hebdo puis Hara Kiri venaient houspiller une société corsetée par des pratiques d’un autre âge.

Avant 1981, ses films n’étaient pas si mauvais : L’aile ou la cuisse, Inspecteur la bavure se regardent encore avec plaisir. Ensuite, quel désastre... Le prétentieux Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ est sinistre de bout en bout. La vacuité consternante de La vengeance du serpent à plume répond au naufrage des Rois du gag. Comme tout acteur comique, ou presque, Coluche a son heure de gloire dans un rôle dramatique. Pourtant, Tchao Pantin avec ses grosses ficelles et ses bons sentiments (ou dois-je écrire : ses bonnes ficelles et ses gros sentiments) n’est certainement pas un bon film.

Mais le pire était sans doute son faux mariage avec Thierry le Luron. On se souvient combien ce gag de potaches, sympathique pour les protagonistes et leurs amis, fut érigé en un pur moment d’humour national. Il arrive que des rétrospectives nous passent encore des extraits de cette parodie pas drôle d’événement people. La vue de Coluche déguisé en grosse mariée donnant le bras à un Le Luron plus tête à claques que jamais rappelle avec cruauté ce qui faisait rire les Français dans les années 80… Ou dois-je dire : une partie des Français, l’autre se souvenant déjà avec nostalgie d’un Coluche autrement plus complice et corrosif.

2010. Nous voilà enfin parvenus à cette époque merveilleuse où les hommes publics – artistes, politiques, comiques, journalistes, sportifs… - peuvent employer des gros mots sans se faire remarquer, ou presque. « Tous ensemble pour leur foutre au cul », la profession de foi du jeune libertaire, fait-elle encore marrer ? Oui. Elle fait marrer cette France vulgaire, rétrograde et pétrie de préjugés que Coluche a tant ridiculisée. La déconnade à tout prix serait comique, forcément comique. Et vive l’insulte, ce refuge intouchable des rebelles médiatiques. Coluche idole des beaufs ! Que cela doit être dur d’être aimé par des cons…

L’homme des Restaurants du cœur n’est certainement pas le premier venu, dira-t-on. Mais s’agit-il de cela, en vérité ? On peut être piètre comique et homme de cœur. Et c’est avec un immense regret que j’ose écrire ces mots : « piètre comique ».

vendredi 13 août 2010

Wiki, dada bobo

Wiki truc, wiki machin ou wiki chose, l’univers virtuel déborde d’outils sympas, cools et gratuits. Le préfixe wiki annonce la couleur : celle d’un bricolage original, indemne de cupidité, frontalement opposé à la rouerie mercantile des grands éditeurs. Le wiki se veut outil collaboratif. Cet adjectif très laid, tiré d’un jargon technocratique, désigne un travail réalisé en équipe. Ainsi Wikipédia s’annonce encyclopédie collaborative : chacun écrit ce qui lui passe par la tête sur les sujets les plus divers. Les articles sont modifiables par n’importe quel utilisateur d’internet. Et que se passe-t-il si vous écrivez des bêtises ? Eh bien, d’autres mieux informés s’emploieront à corriger.

Voilà le pari de l’affaire : la main invisible du savoir de masse est censée rejeter les outrages, décourager les vandales, écœurer les mauvais esprits pour recueillir in fine la substantifique moelle de l’antique sapience.

Joli programme. Le problème est que même si vous écrivez des choses exactes, d’autres se chargeront de les travestir ou les supprimer selon leur gré. Que vous soyez spécialiste du domaine ne change rien.

Car, voyez-vous, l’objet de Wikipédia n’est pas la véracité, mais la neutralité de point de vue.

Or, une encyclopédie où la vérité n’est pas le but n’est par définition pas une encyclopédie. C’est un recueil de racontars. Une encyclopédie fondée sur la neutralité est une contradiction dans les termes. L’impartialité n’est pas un gage de savoir ; et l’exactitude du savoir n’est jamais neutre.

Prétendre que la vérité est relative est un poncif éculé. La connaissance a précisément le but de cerner au mieux la réalité. Si tout est relatif, l’idiot et le savant sont au même niveau, chacun s’exprime selon ce qu’il a en tête, nulle légitimité ne prévaut. Préjugés et raison scientifique ? Rumeurs et faits historiques ? Raison et superstition ? Kif kif, tout cela, Wikipédia d’un ton fat étale tout, le vrai, le faux, l’idiot, le sublime et l’ignoble, mêle fange et chantilly, faits historiques et rumeurs people, axiomes et vilenies. Chaque point de vue, nous dit-on, est censé présenter un caractère pertinent. Alors, tout va bien ? Hélas non, car qui jugera de la pertinence des points de vue, sinon des anonymes dont la propre pertinence de jugement échappe à tout contrôle ?

Le principe rappelle les procédés où au nom de la sagesse populaire l’idiot du village était nommé chef à la place du chef. C’est le jour des fous médiéval ; mais sur Wikipédia, le village est planétaire, et chaque jour est jour des fous.

L’on mesure à quel point Wikipédia rassure l’âne et chagrine le savant. « Si t’es pas content, t’as qu’à corriger ». L’argument (soyons gentil) des wikipartisans tombe dans un vide sidéral. N’étant pas ignare en tout, je relève des erreurs manifestes dans un nombre considérable d’articles de la pseudo-encyclopédie. Mais n’étant pas savant en tout, je ne saurai gaspiller une part de mon existence à rechercher les informations exactes pour rectifier ces mêmes articles. Activité d’autant plus vaine que n’importe quel scribouillard de l’internet pourrait en une paire de clics annihiler mon travail au nom du principe que l’âne vaut le savant, déclenchant échange d’arguments à n’en plus finir, arbitrages et autres joyeusetés bureaucratiques dont la sympa Wikipédia regorge.

Mais surtout, activité vaine parce que ce travail existe déjà, réalisé par des gens qui savent : je parle ici des encyclopédies – les vraies – dont c’est précisément la fonction. Vouloir corriger Wikipédia renvoie pêle-mêle à deux personnages mythiques : Sisyphe et Augias.

Une encyclopédie n’est pas rédigée au gré du tout venant. Elle éclaire au lieu de noyer le lecteur. Elle présente l’essentiel avant l’accessoire, offre des articles construits selon une logique interne, et non constitués d’un invraisemblable bric à brac de brimborions entassés en un fatras chaotique selon le bon vouloir de rédacteurs à la sauvette.

Ils voulaient édifier le palais idéal du facteur Cheval, ils n’ont réussi qu’à construire un bidonville grotesque, chaque jour plus bedonnant et précaire.

Il existe, nous dit-on, quelques très bons articles sur Wikipédia. C’est l’argument du poissonnier qui, entre crevettes avariées et dorade picorée par les mouches, vanterait la fraîcheur d’un saint-pierre. Sur un million d’articles, qu’il surnage quelques textes dignes d’intérêt n’est à vrai dire pas étonnant. Encore faudrait-il aussi faire la part entre ce qui revient à Wikipédia et ce qui relève du plagiat dans cette masse infime.

L’anonymat sonne la revanche des médiocres, des frustrés, des révisionnistes, sectaires et tarés de tout poil, heureux de cette tribune prestigieuse et camouflée leur offrant une caisse de résonance sans égale. A l’abri de leur nouvelle respectabilité, les voilà dans la place pour insinuer leurs lubies, asséner leur pouvoir, dégoûter les plus savants qu’eux ayant l’heur de ne pas partager leurs manies. Certains domaines sont chasse gardée. D’où l’enjeu territorial jalousement veillé par des escrocs tout-puissants. Wiki, dada bobo tombé dans les griffes d’apprentis despotes.

Le droit à l’erreur justifie l’à peu près et le n’importe quoi ? Non. Toute production humaine est en soi entachée d’anomalies plus ou moins vénielles. Cela ne saurait justifier l’approche sciemment biaisée de l’information. Travestir délibérément la connaissance va à l’encontre même des principes qui fondent notre civilisation. Or ce dernier cas est exactement celui de Wikipédia, ouverte à tous les vents de la bêtise anonyme.

Par contagion, le terme wiki se retrouve dans une multitude de projets collaboratifs, souvent gratuits et se voulant en décalage avec une hypothétique « ligne officielle ». Être wiki, c’est être un rebelle, un sympathique bénévole empli d’humanisme et investi d’une mission dont il discute à longueur de temps les mérites en une sorte de novlangue qu’il partage avec ses pairs.

Récemment, un site nommé Wikileaks (version non censurable de Wikipédia, sans lien avec celle-ci) a publié sur la toile mondiale un gros paquet de documents confidentiels sur la guerre en Afghanistan, sans masquer le nom des informateurs opposés aux Talibans. Quelles que soient les opinions que l’on possède au sujet du conflit, quel que soit son avis sur l'à-propos de mettre à disposition du public des informations classées top secret, il faudrait avoir un cœur de pierre pour admettre sans broncher le péril mortel qu’une telle initiative fait peser sur la tête des soutiens locaux des démocraties.

Merci qui ? Merci wiki !

dimanche 8 août 2010

Le petit Nicolas

A la suite de quels égarements a-t-on fini par présenter Le petit Nicolas, série d’histoires de René Goscinny illustrées par Sempé, comme un sommet de fantaisie, d’imagination et d’humour ? On aura beau porter un regard bienveillant sur ces récits, rien en eux ne saurait retenir l’attention, tant les procédés narratifs souffrent d’automatismes routiniers et laborieux. Pour prendre quelques détails : la feinte éculée du gamin naïf, les tics de langage, faussement jeune, les clichés de situation. Des personnages stéréotypés : Alceste le gourmand, Aignan premier de classe, etc. Des rebondissements convenus. Et, le plus pénible, un ton très France bien pensante, lisse et niais, daté. Le petit Nicolas n’est pas vraiment mauvais, sans doute, mais certainement pas pour autant mémorable. Pour cela il aurait fallu autre chose, une pointe de cruauté, un je-ne-sais-quoi roué qui nous rendent les péripéties un peu plus intéressantes. Sans cela, ces aventures ne nous concernent simplement pas.

Ce qui agace, avec le petit Nicolas (je parle des livres et non du film encore plus médiocre que l’on a jugé bon de commettre), c’est cette adoration sur commande qui entoure l’œuvre. Comme si Sempé n’avait pas donné, ailleurs, des preuves ô combien plus convaincantes de son talent. Et comme si Goscinny n’avait pas déployé tout son art autrement que dans cette triste collaboration.

Prenez Astérix, prenez Lucky Luke. Le premier est plus connu, mais pour de mauvaises raisons. Que connaît-on d’Astérix aujourd’hui, hormis un parc d’attraction sans âme, et quelques films, tous ratés ? Et faut-il citer les lamentables aventures publiées par le dessinateur Uderzo seul, après la mort du scénariste ? Que l’on ne s’y trompe pas, cependant. Les véritables aventures d’Astérix, en bandes dessinées, sont d’inestimables trésors d’humour et de narration. Je parle ici des albums allant grosso modo d’Astérix chez les Bretons jusqu’à Astérix chez les Belges. Je plains ceux qu’y s’imaginent ne voir là qu’historiettes pour enfants, gentils Gaulois contre méchants Romains. Astérix aux jeux olympiques est une satire bien troussée du nationalisme, Le devin se moque avec talent des superstitieux de tout poil – y compris des croyants ! - et le Domaine des Dieux est une image sans concession des grands ensembles urbains. L’on pourrait continuer longtemps l’énumération des travers modernes si intelligemment mis en question dans Astérix.

Mais à l’encontre d’une opinion courante je trouve que l’association de Goscinny avec Morris encore plus aboutie. Morris était le dessinateur de Lucky Luke, héros du grand ouest américain – tel qu’imaginé vu d’Europe. Les grands albums de Lucky Luke s’inscrivent à peu de choses près entre En remontant le Mississipi et La guérison des Dalton. Quand elle fonctionne, la collaboration entre Morris et Goscinny touche à la perfection : Les Collines Noires, Tortilla pour les Dalton, Western Circus sont des sommets du burlesque intelligent en bande dessinée. Le trait de Morris, tout en acuité nerveuse, loin de la sorte de beau style cultivé par Uderzo, sait se faire étonnamment moderne et adulte : prenez certaines vignettes de Jesse James, avec les visages sanguins des villageois, ou encore ces étranges cases où tous les personnages sont colorés uniformément. Morris, incapable de sauver certains scénarios trop faibles de son illustre compère (L’Empereur Smith, plombé par une morale besogneuse, n’est jamais drôle), était, on l’oublie trop souvent, un dessinateur hors pair.

En jetant un regard sur les autres célèbres créations de Goscinny, je m’aperçois que cette dernière condition était sans doute nécessaire et nullement suffisante. Iznogoud, avec le limité Tabary, cède trop à la « dégradante monomanie des jeux de mots » (H. Gauthier-Villars) et fatigue sans jamais séduire. Avec Gotlib et les Dingodossiers, le scénariste ne parvient qu’à cette sorte de gentillesse niaise qui nimbe aussi le petit Nicolas. Gotlib sera sans conteste à son avantage dans Rubrique à Brac. Et même Goscinny en scénariste occasionnel de Modeste et Pompon, de l’immense Franquin, reste insipide.

C’est rendre un bien mauvais service à ce scénariste si fin et intelligent que d’encenser contre vents et marées ses productions les moins abouties. Et Le petit Nicolas, dont on nous rebat tant les oreilles en ce début de siècle, en fait malheureusement partie.